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la nutrition. Le nez sera plutôt mince, avec des ailes très mobiles. Le corps sera svelte, souvent sec, rarement gras. Quant au visage, on a remarqué qu’il va parfois en s’amincissant par le bas, à partir d’un front large et élevé, ce qui peut donner à la figure une certaine ressemblance avec la forme d’un V. Cette forme s’accuse chez les nerveux qui vont jusqu’à la mélancolie. Selon nous, cette forme de visage tient à la prédominance des fonctions cérébrales, qui grossit le haut de la tête, et à l’affaissement des fonctions nutritives, qui en amincit le bas. On a donc bien ici un tempérament où la dépense extérieure est relativement faible et où l’intégration ralentie ne réussit pas à compenser assez vite la dépense interne.

Nous avons dit que, chez le nerveux, c’est un affaiblissement relatif et non plus, comme chez le sanguin, un excès de la nutrition générale qui est le point de départ. Cette différence entraîne des conséquences importantes. D’abord, les nerfs n’ayant pas autant de sang pour se réparer, il en résulte une diminution de l’énergie totale. Cette diminution fait que les excitations se dépensent presque entièrement dans les fibres sensitives, sans qu’il reste assez d’énergie pour passer aux fibres motrices, qui, d’ailleurs, ont perdu de leur ressort. En outre, dans les fibres sensitives elles-mêmes, les excitations atteignent plus tôt le point où la dépense n’est plus compensée par la recette ; elles deviennent ainsi trop vite excessives, épuisantes, et s’élèvent rapidement au point du thermomètre intérieur où commence l’échelle des peines. Le changement de position dans les molécules du cerveau étant dès lors plus notable et plus durable, les impressions subsistent davantage et ont, par cela même, le temps de pénétrer une plus grande portion de l’organisme. De là des sentimens qui vont se multipliant et s’exaltant, pour ne se calmer qu’avec peine. Enfin ces sentimens, ne se dépensant point d’ordinaire par la voie de l’action, saut dans les momens de surexcitation et d’activité spasmodique, se dépensent, — selon la loi plus haut énoncée, — à réveiller des idées ou à ébranler les organes internes, qui vibrent tous à l’unisson :


Mon cœur profond ressemble à ces voûtes d’église
Où le moindre bruit s’enfle en une immense voix[1].


C’est ce qui fait que ces tempéramens méritent par excellence le nom « d’émotionnels. »

  1. Guyau, Vers d’un philosophe.