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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/365

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de la plus basse concupiscence (dona Marina) à la plus pure tendresse (Violette Yves), M. Fogazzaro a été pris d’un doute, j’allais dire d’un remords. Il s’est demandé, il a dû se demander si l’intensité même de ses peintures de l’amour, si la violence des luttes qu’il décrit, au lieu de montrer au lecteur les dangers de la passion, ne leur en montraient pas plutôt l’attrait ; et, un hasard l’aidant, il est arrivé à discuter lui-même la question générale que soulèvent ses romans, comme tous les romans d’amour. Nous le suivrons sur ce terrain, où il nous conduit avec un discours lu au Cercle physiologique de Florence, le 28 mars 1887, et publié sous ce titre : une Opinion d’Alessandro Manzoni.

Voici quelle fut l’occasion de ce discours :

M. Bonghi, dans une cérémonie de commémoration en l’honneur de Manzoni, avait insisté sur ce fait qu’en comparant le manuscrit original des Fiancés au texte imprimé, on pouvait remarquer que les scènes d’amour et les descriptions de sentiment avaient disparu du roman célèbre. Et il avait expliqué ces suppressions en lisant un fragment inédit de Manzoni, qui ne laissait aucun doute sur ses intentions. C’est une sorte de dialogue entre l’auteur et un personnage imaginaire. Celui-ci s’étonne de ces suppressions et en demande le pourquoi : « Pourquoi ? répond Manzoni. Parce que je suis de ceux qui disent qu’on ne doit pas parler d’amour de manière à incliner l’âme des lecteurs vers cette passion… » Et plus loin : « Je conclus que l’amour est nécessaire dans ce monde : mais il y en aura toujours assez ; il n’est donc pas nécessaire que les autres se donnent la peine de le cultiver, car, en voulant le cultiver, on ne fait pas autre chose que de le provoquer là où il n’y en a pas besoin. Il y a d’autres sentimens dont la morale a besoin et qu’un écrivain peut, selon ses forces, répandre un peu plus dans les âmes : ainsi la pitié, l’amour du prochain, la douceur, l’indulgence, le sacrifice de soi-même. Oh ! de ces sentimens-là, il n’y en a jamais de trop, et gloire aux écrivains qui cherchent à en mettre un peu plus dans les choses de ce monde ! Mais de ce qu’on appelle l’amour, il y en a, en faisant un calcul modéré, six cents fois plus qu’il n’en serait nécessaire à la conservation de notre honorable espèce. J’estime donc œuvre imprudente de le fomenter par des écrits, et j’en suis si persuadé que si un beau jour, par miracle, il me venait à l’esprit les pages d’amour les plus éloquentes qu’homme ait jamais écrites, je ne prendrais pas la plume pour en mettre une ligne sur le papier, tant je suis certain que je m’en repentirais. »

On sait que la littérature italienne contemporaine, — les véristes avec M. Verga, les poètes avec M. Carducci, qui a été jusqu’à