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ailleurs, et, en vérité, je l’admire tous les jours de plus en plus ; car l’on ne peut se faire une idée de la simplicité qu’elle met dans toutes ses formes. Sa conversation est charmante et, lorsque l’on parle de choses sérieuses, alors, sans le vouloir, elle laisse échapper des traits qui caractérisent toujours l’étendue de son esprit et sa justesse. Cela serait un des particuliers les plus aimables qu’il n’y eût eu. Le prince Potemkin nous quittera à Kanief pour aller attendre l’empereur à Krementchul ; mais c’est l’heure d’aller à la cour pour le départ. Adieu, ma princesse. Je vous écrirai de Kanief où je verrai le roi sûrement très content, car son entrevue doit lui assurer un règne plus heureux que par le passé. Tout est bien disposé pour lui, je n’en puis pas douter. »


« Il est huit heures du matin. Je viens de me lever pour vous écrire pendant que tout le monde est occupé : le prince à dormir, Branicki et Scawronski à en faire sans doute autant, et Stackelberg à réfléchir sur la bizarrerie des choses de ce monde. Il est vrai que notre réunion dans cette galère est une des choses les plus singulières. Nous y sommes très bien, mais si ensemble qu’il faut beaucoup d’intimité pour ne pas se gêner. Voici la distribution de nos appartemens avec le dessin. Vous verrez que tout le monde doit passer par la chambre du prince et par la mienne, et que Branicki et sa femme sont obligés de passer par chez moi pour communiquer ; aussi sommes-nous, pour le moment, les meilleurs amis du monde. Le prince A ; moi B ; Branicki G ; Stackelberg D ; la Branicka E ; la Scawronska et son mari F. Notre galère, qui est la plus grande et la plus ornée, est celle que devait monter l’impératrice qui a choisi celle qui était destinée à l’empereur.

« Nous nous embarquâmes hier, à midi, après avoir visité trois églises. Nous arrivâmes à la salle à manger où nous trouvâmes une table de cinquante couverts et un très bon dîner avec une musique à vent excellente que l’impératrice a fait venir de Pétersbourg. Le canon de la place, les cris du peuple, qui était sur le rivage, des femmes, des musiques dans des bateaux, le plus beau temps du monde, tout se réunit pour nous donner un superbe spectacle. À trois heures, on leva l’ancre et nous nous arrêtâmes à six heures. Nous nous rendîmes à la galère de l’impératrice où nous restâmes avec elle jusqu’à neuf qu’elle alla se coucher, et, nous à la salle à manger où nous trouvâmes un souper égal au dîner. De là nous revînmes chez nous causer et nous coucher. Je vous manderai demain matin les détails de la journée. Le prince est éveillé, je vais entrer chez lui avant qu’il n’y ait personne ; c’est le moment où nous causons et c’est toujours intéressant.