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Il désapprouva fort la conduite de sa sœur et de son beau-frère. Son projet est de faire marcher six régimens. Il y a six jours que je le savais, mais il n’en a parlé à l’impératrice qu’aujourd’hui qu’il lui est arrivé un courrier avec des détails. Cela doit lui donner beaucoup d’humeur ; mais il ne le fait pas paraître. Cela nous assure la paix pour le moment, et, en conséquence, il est parti aujourd’hui un courrier pour Paris et les points d’arrangement que l’on propose aux Turcs sont si justes qu’il faudrait qu’ils fussent bien Turcs pour s’y refuser. Mais cela n’est reculer que pour mieux sauter.

« Aujourd’hui nous avons été dîner à une terre du prince Potemkin dans les montagnes. Elle est si bien placée qu’il appelle cette vallée Tempé. Mais la journée était si forte que, quoique l’impératrice soit montée en voiture à 7 heures du matin, nous ne sommes arrivés à Batchi-Séraï, où nous couchons, qu’à minuit. Aussi elle est si fatiguée que l’on séjournera ici demain. Mais le prince de Ligne et moi nous partirons pour aller voir nos terres qui sont sur le bord de la mer, de l’autre côté des montagnes. » — Au cours de leur précédent voyage, quelques mois auparavant, le prince Potemkin n’avait pas donné au prince de Nassau moins de sept terres, situées sur divers points de son commandement. On sait avec quelle prodigalité il les distribuait alors à tous ceux qu’il pouvait croire en mesure et en disposition d’en tirer un parti quelconque immédiatement. — « C’est une excursion qu’il faut faire à cheval, car il n’y a pas de chemins ; nous rejoindrons l’impératrice dans deux jours au Vieux-Crimée. Adieu. Il est deux heures du matin. »


« Partis à midi de Batchi-Séraï où l’impératrice devait séjourner à cause de la fatigue de la veille, nous nous acheminâmes vers les montagnes, le prince de Ligne et moi. Nous avions pour conducteur un jeune Italien, major de chasseurs, qui avait levé le plan de toutes ces montagnes. Nous avions pour escorte douze Cosaques et douze Tartares du régiment, et mon valet de chambre pour tout domestique. Après avoir marché par des précipices, nous nous trouvâmes, à la nuit, au haut de la plus haute montagne appelée la Chétarda, et, comme les chemins ne sont pas encore faits dans cette partie, nous ne suivions que des sentiers plus ou moins fréquentés. Les bois sont superbes dans cette partie ; aussi la nuit, qui était naturellement très obscure, le devint-elle au point de ne plus reconnaître le sentier, et nous nous perdîmes. Plusieurs fois, nous fûmes au moment de nous précipiter dans des abîmes que nous ne reconnaissions qu’au bruit que l’eau faisait en tombant. Ligne avait mis pied à terre. Pour moi, je restais sur mon cheval