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LES
PHOQUES A FOURRURES

Depuis le jour où Franklin fit signer à l’Angleterre mortifiée le document qui stipulait l’indépendance des États-Unis d’Amérique, des motifs de rupture ont souvent divisé les deux nations. Les Anglais, forts de leur droit d’aînesse, ont cru pouvoir, — trop souvent, hélas ! — morigéner leur jeune frère Jonathan. Celui-ci, conscient de sa virilité, entraîné par cette belle sève de jeunesse qui court dans ses veines, n’a répondu aux sermons qu’on lui prodiguait que par de spirituelles impertinences. John Bull se taisant au lieu de les relever, les plus grosses querelles ont dû finir faute d’alimens pour les entretenir.

Il arrive parfois à Venise que deux barques s’entre-choquent dans un canal. Les gondoliers se toisent sans proférer une parole, mais leurs regards échangent des flammes. À mesure que les embarcations se dégagent et s’éloignent l’une de l’autre, ceux qui les dirigent vomissent d’horribles imprécations ; mais quand leur colère est arrivée à ce paroxysme qu’une bataille est inévitable, la lutte est impossible, tellement est grande la distance qui sépare les adversaires. Au moment où l’on suppose qu’Américains et Anglais vont s’entre-déchirer, survient une circonstance providentielle qui les met d’accord. Il y a deux ans, à peine, des bateaux battant pavillon anglais, et en quête de phoques à fourrures dans la mer de Behring, sont saisis par des croiseurs américains. Les capitaines de ces bateaux, ainsi que leurs équipages, sont jetés en prison, jugés et condamnés. D’un tout autre peuple que celui des États-Unis, l’Angleterre eût exigé aussitôt une réparation éclatante et des