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c’est ce qui est cause que tant de phoques en bas âge meurent d’inanition lorsque leur nourrice, obligée de quitter les îles pour aller en quête d’alimens, est tuée au large. Quand les mères reviennent au harem, parfois, après plusieurs jours d’absence, on les voit courir affairées, sans souci des grognemens des bulls, en quête de leurs nourrissons, retourner ceux qui dorment, les flairer, repousser ceux qui, orphelins, affamés, se jettent sur leurs mamelles pleines de lait. Cette inquiétude dure jusqu’au moment où elles retrouvent enfin celui qu’elles cherchent. Alors, ce sont de véritables caresses qui s’échangent entre la mère et l’enfant.

On n’ignore pas que l’un des plus grands griefs des États-Unis contre les bateaux canadiens et autres qui chassent le phoque en mer est le grand nombre des femelles qu’ils massacrent, femelles dont la diminution, toujours croissante, menace d’anéantir l’espèce. Les mères, qui ne sont que blessées par les armes à feu dont se servent les pêcheurs, sont à jamais perdues, car elles plongent pour ne plus reparaître. Celles qui meurent tout de suite sont recueillies sur le pont des bateaux, éventrées aussitôt, et c’est un spectacle navrant que celui des flots de sang et de lait qui y coulent. Voilà ce que les Américains, non sans quelque apparence de raison, demandent aux arbitres d’empêcher à l’avenir[1].

La chasse pélagique entraîne avec elle un déchet énorme et détruit l’espèce en s’attaquant aux sources de son existence. Par la nature même des choses, aucun choix ne peut être fait et une grande quantité de phoques tués se trouvent perdus. En raison des particularités que présente l’itinéraire des troupeaux de phoques au cours de leurs migrations, il arrive que 90 pour 100 des animaux tués dans le Pacifique septentrional sont des femelles pleines, ce qui occasionne la destruction de deux phoques pour chaque animal adulte tué. Dans la mer de Behring, on prend aussi un grand nombre de femelles : celles-ci se trouvant dans la période de l’allaitement, leurs nourrissons périssent d’inanition sur les îles.

Les femelles ne mettent bas qu’un seul petit à la fois, et l’on a

  1. Le tableau suivant donne le nombre de peaux de phoques provenant de la chasse pélagique ou pêche en haute mer :
    Année Nombres de peaux Année Nombre de peaux
    1878 264 1885 13.000
    1879 12.500 1886 38.907
    1880 13.600 1887 33.800
    1881 13.641 1888 36.818
    1882 17.700 1889 39.563
    1883 9.195 1890 51.404
    1884 14.000 1891 62.500