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jusqu’ici, jamais personne en ait souffert. Une fois sur dix, un fait assez-curieux se produit. L’indigène qui porte au charnier et sur ses épaules la carcasse encore chaude d’un phoque, se sent tout à coup mordu à la jambe. L’animal, auquel il est sans doute resté, quelque vitalité, se venge, dans un dernier, spasme, en mordant son porteur. Ces blessures se guérissent aisément par l’application de compresses antiseptiques.

Les peaux sont transportées des lieux du massacre dans des hangars voisins appelés « maisons de sel, » où elles sont, de nouveau examinées, ainsi que leurs fourrures, avec le plus grand soin. Toute peau, reconnue irréprochable est largement saupoudrée, mise en fardeau, et portée à bord des bateaux à vapeur qui, leur chargement terminé, mettent le cap sur la Grande Bretagne. Le sel est le meilleur préservatif contre la décomposition de tous les tissus membraneux. Avant que son emploi ait été adopté, les peaux étaient desséchées au grand air. Avec un personnel forcément restreint, il était impossible d’en préparer plus de quarante à cinquante mille par saison. Avec le nouveau procédé, on atteint le chiffre énorme de cent mille, mais ce n’est pas sans peine aujourd’hui, car il faut aller chercher les jeunes mâles destinés à être abattus, là où autrefois on les laissait vivre en paix. Évidemment, une nouvelle diminution de ces animaux se produit, et elle ne peut être motivée que par le massacre qui se fait des femelles au large, bien au-delà des limites, — à trois milles marins des côtes, — dans lesquelles la pêche est habituellement interdite aux étrangers.


V

La population qui. vit à poste fixe sur les îles Saint-George et Saint-Paul est trop différente de celle des insulaires en général, pour que nous n’en parlions pas. L’été fini, après trois mois d’un dur labeur, à quoi s’occupe-t-elle pendant les neuf autres mois d’hiver sur des rochers où nulle culture n’est possible, où nulle industrie ne peut se créer ? Cette question, on se l’est posée souvent, et grâce à l’étude qu’en a faite sur les lieux M. Henry Elliot, il est aisé d’y répondre.

Lorsque le baleinier russe Pribylev, en juillet 1786, prit possession de l’île Saint-George, il la trouva inhabitée ; il comprit tout de suite la nécessité d’y amener des individus qui, moyennant une faible rétribution, l’aideraient dans la chasse aux phoques et dans le très fatigant, séchage à l’air de leurs fourrures. La conservation des peaux par le sel, ainsi que je l’ai dit, était encore ignorée. Pribylov se rendit aux îles Aléoutiennes, où vit une population,