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l’égalité de tous les Français devant la loi, ce n’était pas avec l’intention d’en rebâtir une autre au profit des grands seigneurs du prolétariat.

Le 6 juillet au soir, il ne restait plus, à l’intérieur de la Bourse du travail, qu’un bivouac de gardiens de la paix, faisant vis-à-vis à un tableau noir, sur lequel les locataires sortans avaient concentré leur doctrine en ces mots :

L’anarchie, c’est le salut !
Vive la révolution !

Il y a ainsi chaque mois, chaque année, sur un point déterminé de l’Europe, dans les monarchies ou dans les républiques, quelque tapage, quelques coups de couteau ou de fusil, dont plusieurs ont une issue funeste. La quinzaine dernière, c’était le tour de la paisible Suisse, patrie classique de la liberté, où la petite affaire de Saint-Imier était suivie des troubles beaucoup plus graves de Berne. Il y a trois mois, c’était en Belgique que l’on échangeait force horions ; il y a un mois, c’était à Prague. L’an dernier, on pillait à Berlin les boulangeries et les boucheries et il fallait déployer des forces militaires. Précédemment, c’était en Angleterre, où les life-guards, il y a quelques années, devaient charger les « inemployés » dans Trafalgar square.

Paris a, du reste, ce privilège de faire plus de bruit chez les autres que les autres n’en font chez lui : c’est ainsi que M. de Manteuffel, l’un des chefs du parti conservateur allemand, voulait bien s’inquiéter à la tribune, il y a huit jours, au cours de la discussion militaire, de ce qu’il appelait « l’impuissance de notre gouvernement à réprimer nos troubles intérieurs. » Peut-être cela tient-il à ce que, la première parmi les grandes nations du continent, la France a proclamé ce dogme redouté de la souveraineté du peuple, qu’elle a depuis violé souvent, quoique le propageant toujours. Mais ce principe même, qui fait aujourd’hui le fond incontesté de notre constitution, est précisément ce qui doit rassurer nos voisins sur l’inanité future de toute violence populacière. Le gouvernement étant forcément chez nous l’expression de la majorité actuelle des citoyens, il s’ensuit que l’émeute ne peut jamais représenter qu’une minorité. Ce sentiment qu’ils ont d’agir exclusivement au nom du pays légal procure aux chefs de l’État une autorité morale extraordinaire ; et c’est au contraire une cause d’extrême faiblesse, pour les mécontens qui seraient tentés d’en appeler aux armes, que de ne pouvoir se recommander de l’opinion publique.

La chambre, qui a consacré quelques heures à ces incidens de la rue, n’en a pas moins commencé et poursuivi avec une fébrile activité