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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/540

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hâtive, à bon marché. Sur la place Victor-Emmanuel, une rangée d’énormes colonnes, imitation de marbre, formant portique et soutenant cinq ou six étages, montrent à nu le simple appareil de briques dont elles furent faites. Le revêtement de stuc est tombé par endroits. Des bras de fer entourent le haut des fûts : un décor en ruine. Et le même spectacle se prolonge. Et le même palais renaissance, plus simple, mais non moins vaste, tantôt ouvert, tantôt fermé, nous poursuit jusqu’à l’extrémité de la ville, jusqu’à la basilique, omnium urbis et orhis ecclesiarum mater et caput. Là, il se dresse isolé, au milieu de terrains invendus et vides. Une nuée de locataires peuple les chambres. Des haillons sèchent à toutes les fenêtres, et le vent qui souffle secoue ces guirlandes de misère.

Heureusement, du haut des marches de Saint Jean, on découvre aussi la campagne romaine. Elle était, un matin surtout que je m’étais égaré jusque-là, d’une harmonie de lumière que les mots ne peuvent rendre. Il n’y avait pas d’arbres, pas de plans distincts marqués par des obstacles, mais de belles lignes de plaine nue, légèrement bossuée, d’un vert qui devenait blond en s’éloignant, pour se fondre insensiblement dans les teintes d’azur des montagnes d’horizon, que couronnait une frange de neige éclatante. Au-dessus, le ciel partout très pur, d’argent d’abord, au ras des neiges, puis d’un bleu lavé, pailleté d’étincelles blanches, et très loin de ces tons violens que l’imagination populaire prête au ciel italien.

Je demeurai si longtemps là, en haut des marches de Saint-Jean, qu’un mal m’en prit, qui ne m’a pas quitté. Ce n’était pas la fièvre. C’était l’amour de la campagne romaine, que de trop rares étrangers vont voir. Il ne me vint que par degrés. Il me conduisit d’abord à visiter les faubourgs au-delà des portes, et me donna l’occasion de compléter l’enquête sommaire que j’avais faite. Car si vous voulez vous rendre un compte exact des effets désastreux de la crise édilitaire, ne parcourez pas seulement les quartiers dont j’ai parlé, et ceux des prati di Castello, pleins d’édifices plus grands encore et de fondrières lamentables ; allez vers la porta Salaria, franchissez les murs et quelque cent mètres de route. Alors vous jugerez de ce que fut cette folie de spéculation : de tous côtés, des casernes ouvrières délaissées, l’une à peine sortie de terre, l’autre élevée jusqu’au premier, jusqu’au second, jusqu’au troisième étage. Des escaliers tournent en l’air, dans des tourelles à demi écroulées. L’eau tombe directement sur les plafonds, émiette les plâtres, coule en traînées jaunes et noires sur les murs. Des lattes disjointes se détachent et pendent. Les rues de cette cité morte n’ont que des noms et de l’herbe. On ne voit pas trace de voirie. Quelquefois un rez-de-chaussée