tout ce qui était ancien, tout ce qui avait abrité les générations précédentes, était a priori destiné à périr. Il fallait que tout lût neuf dans l’habitation que ces audacieux architectes rêvaient d’édifier pour l’usage et le plus grand bonheur de la nation française. S’agissait-il de l’organisation judiciaire, les parlemens une fois supprimés, comment aurait-on conservé les anciennes compagnies d’avocats, de procureurs, d’huissiers ? À des tribunaux de création nouvelle ne fallait-il pas des auxiliaires nouveaux ? « Vous n’avez pas voulu simplement réparer, mais reconstituer en entier l’ordre judiciaire : or, en faisant cette reconstitution intégrale, vous ne pouvez laisser subsister aucune partie de l’ancien édifice. » Ainsi s’exprime le député Dinocheau, et sa parole a d’autant plus d’autorité qu’il tient ce langage au nom des comités de constitution et de judicature dont il est rapporteur. Dès lors, n’était-il pas indispensable de transformer l’organisation du barreau, de changer jusqu’au nom des défenseurs ?
D’ailleurs, en admettant la moindre restriction au droit de plaider, la Constituante aurait cru porter atteinte au principe de la liberté de la défense. La liberté de la défense ! Aux yeux des hommes de 1789, c’était une des conquêtes les plus précieuses de la Révolution ; c’était un de ces axiomes sacro-saints qui faisaient partie de la charte nouvelle de l’humanité. Le droit pour chaque citoyen de défendre lui-même sa cause en justice était considéré comme un droit naturel, inviolable, au-dessus de toutes les lois écrites. Ce principe posé, les logiciens de la Constituante ne pouvaient manquer d’en déduire les conséquences. Le citoyen qui ne pourrait pas ou ne voudrait pas user lui-même de cette faculté de se défendre chargerait de ce soin celui qui lui paraîtrait le plus capable de soutenir ses intérêts. En bonne logique, le droit de se défendre n’est complet qu’à la condition de pouvoir être délégué, et délégué à n’importe qui. Forcer le plaideur à choisir son mandataire dans une certaine classe d’individus, c’eût été une diminution de son droit, une mainmise sur son libre arbitre.
Et ici intervenait une autre idée qui ne pouvait germer que dans le cerveau des hommes de cette fin de siècle bercée par les théories de Rousseau : puisque la fraternité véritable allait enfin régner, puisque tous les hommes, dans la société régénérée, devaient être humains et vertueux, comme ce rôle de défenseur et de protecteur des faibles allait être envié ! Quel plus noble emploi celui que la nature a doué d’une parole facile pourrait-il faire de ses facultés ? « Sous une constitution bienfaisante et dont les maximes fraternelles rapprochent tous les hommes, les relations de confiance et