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Il convient d’examiner séparément le cas du vendeur de marchandises et du vendeur de valeurs dites mobilières. Le premier, à moins qu’il ne s’agisse d’une denrée très rare, produite en un seul point du globe, est pour ainsi dire certain de trouver toujours le moyen de remplir son engagement. Quand le cuivre avait été poussé à 2,000 francs la tonne, on rencontrait sur les grands chemins de l’Inde des indigènes qui apportaient leurs ustensiles de cuivre aux fondeurs des villes, pour les transformer en lingots et les vendre aux prix inespérés dont les échos étaient venus jusqu’aux bords du Gange et de l’Indus. Ils fournissaient ainsi, sans le savoir, aux spéculateurs à découvert qui avaient jugé la hausse extravagante, le moyen de régler leurs engagemens. Le vendeur d’un titre, au contraire, s’expose à rencontrer en face de lui un acheteur qui, ayant acquis par exemple toutes les actions d’une société, en exige la livraison. Le vendeur pourra alors être obligé d’offrir aux détenteurs de ces actions des prix fantastiques pour les décider à s’en dessaisir en sa faveur. On a vu des opérations de ce genre réussir et faire conclure à l’immoralité des marchés à terme. Mais qui force un vendeur à promettre ce qu’il n’a pas ? Et encore, même ici c’est à lui seul qu’il nuit : car au point de vue de l’intérêt général, on peut dire avec raison qu’il s’est opposé ou a essayé de s’opposer à une poussée exagérée des cours.

Souvent le vendeur à découvert rend un véritable service en prévoyant une baisse ultérieure dont les causes restent encore cachées aux yeux du plus grand nombre. Certains symptômes, qui passent inaperçus d’observateurs moins attentifs, pourront faire prévoir à un spéculateur un recul dans les cours d’un fonds d’État, soit que l’étude approfondie du budget l’amène à conclure à la nécessité d’une nouvelle émission de rentes, soit que l’observation des marchés étrangers lui fasse pressentir l’éclosion d’une crise qui aura son contre-coup sur les cotes de tous les marchés. Quel est alors le double effet de ses ventes à découvert ? D’une part l’offre de titres qui se produit à la Bourse arrête la hausse et fait que les acheteurs paient moins cher la rente qu’ils veulent acquérir. Si le titre est destiné à baisser ultérieurement, leur perte sera atténuée de toute la somme qu’ils eussent dû. débourser en plus dans le cas où, le vendeur à découvert n’ayant pu opérer, la demande n’eût été servie qu’à un prix plus élevé. D’autre part, celui qui a vendu à découvert devra racheter un jour ou l’autre. — Qu’une panique se produise, ou simplement qu’un recul violent soit provoqué par l’un des événemens prévus par le spéculateur, celui-ci interviendra sur le marché pour acheter à l’heure où tout le monde veut vendre. La demande qui arrive ainsi au moment