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nullement à ce qu’il admirait pour sa part dans les capitales européennes : beaux-arts, souvenirs historiques. Elle interrompit ses descriptions en disant :

— Eh bien, regardez un peu ! Quand je vous ai vu pour la première fois et quand j’ai su que vous aviez été élevé à Boston, que vous aviez fréquenté New-York, j’ai cru que vous n’étiez qu’un pas grand’chose pour être venu dans ce trou perdu. Qu’est-ce qui vous a poussé ? À quoi bon ? Je pense bien que vous n’allez pas toujours faire l’école comme ça !

Le jeune homme rougit sous la franchise de son regard et de ses questions, sous l’espèce de mépris que semblaient impliquer ses dernières paroles. Une fois de plus il eut la conscience pénible d’une différence sociale, tout au moins, entre lui et miss Conklin. Il avait été accoutumé à plus de réticences, et cette façon directe d’interroger le choquait comme impertinente. Mais il subissait si complètement le prestige de sa beauté qu’il répondit presque sans hésitation visible :

— Je suis venu, parce que je compte étudier le droit et que je n’étais pas assez riche pour suivre mes projets dans l’Est. J’ai pris cette école, parce que c’était la première situation qui s’offrait ; mais je me propose, au bout d’un an ou deux, de chercher une place de clerc dans quelque étude d’avoué en ville et d’apprendre ainsi la loi. Si j’avais eu quinze cents dollars, j’aurais fait la même chose à Boston ou à New-York ; tout s’arrangera sans doute avec le temps,

— Moi, à votre place, je serais restée à New-York. — Puis croisant ses mains sur son genou gauche et fixant sur la prairie un regard intense, elle ajouta : — Quand j’irai à New-York, — et ça ne tardera pas, — parions que j’y resterai ! J’ai idée que New-York est mon affaire. C’est là qu’on doit avoir du genre !

En parlant, elle hochait la tête d’un air résolu.

Chez les Morris, miss Lou et Bancroft arrivèrent presque derniers. Elle se tint auprès de lui tandis qu’il attachait Peter à l’un des poteaux de la barrière parmi une foule d’autres chevaux ; puis ils entrèrent ensemble dans la maison. Miss Conklin présenta son compagnon à Mr et Mrs Morris et produisit en souriant trois nappes de toile en guise de contribution à la cérémonie de la crémaillère. Bien entendu, le cadeau fut accepté avec une profusion de remercîmens et d’éloges, puis Mrs Morris les conduisit de l’autre côté de l’entrée, vers la plus belle chambre, que la jeunesse des deux sexes s’était appropriée déjà, laissant la belle chambre n° 2 aux vieilles gens. Il y avait, réunis dans cette petite pièce carrée, une vingtaine de garçons et de filles entre seize et vingt-deux ans. Les garçons étaient debout à part, tandis qu’à l’autre extrémité les filles, assises, babillaient et s’amusaient entre