Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

officier ne le chagrina pas, comme la coquette s’y était attendue ; elle confirma simplement ses pires soupçons. Il en fut irrité et jaloux ; or la jalousie n’augmente pas toujours l’amour. Sa nature n’était ni très profonde, ni très passionnée ; il avait toujours vécu au milieu de conventions que cette jeune fille outrageait sans relâche, et maintenant ces conventions exerçaient sur lui leur influence. En outre, il restait assez maître de lui pour voir parfaitement que Lou s’était proposée de le vexer. Bref, Bancroft se sentait beaucoup plus impatient de savoir ce que l’Ancien comptait faire que de scruter les pensées ou les impressions de Lou.

Quelques heures plus tard, il fut mis sur la voie par Jake, qui, avant souper, vint annoncer, comme une grande nouvelle, que le fusil de papa n’était plus dans sa chambre. Était-il donc allé chasser ? Bancroft ne put s’empêcher de penser que cette disparition était significative, et le soir, ses soupçons se confirmèrent ; il remarqua que les yeux du père couvaient Lou d’un regard plus intense que d’habitude.

Au déjeuner du lendemain, rien d’intéressant n’arriva ; mais, en revenant de l’école, trois heures après, Bancroft vit un groupe de cavaliers qui remontait la vallée à un mille environ de distance, et ses yeux saisirent le scintillement de l’acier. Sur le seuil de la maison, il trouva l’Ancien.

— Les voici qui viennent, dit-il en désignant la vallée.

— Hum ! fit Conklin. — Et il quitta le stoop pour se diriger vers les dépendances de la maison.

Bancroft entrait dans la salle quand Mrs Conklin l’y rejoignit ; elle semblait mécontente, plutôt qu’excitée comme il l’aurait cru.

— Je suppose que vous avez rencontré l’Ancien ?

— Oui, dit Bancroft. Il est allé du côté de l’écurie. J’ai bien songé à l’accompagner, mais j’ai craint que cela ne lui déplût.

— Cela aurait pu lui déplaire, acquiesça Mrs Concklin, puis elle reprit : — Je crois qu’il est inquiet à propos de ce maïs. Quand il a défriché le terrain, je l’ai averti que cela lui rapporterait de l’ennui, mais il ne tient jamais compte de ce qu’on lui dit. Il ferait pourtant bien quelquefois, n’est-ce pas, d’écouter sa femme ? Mais peut-être que vous prenez son parti. Tout de même, c’est arrivé comme je m’y attendais. Et qu’est-ce qu’il va faire maintenant ? je voudrais savoir… Tout ce maïs perdu et son travail pour les palissades ! Il s’est tué à tailler du bois. Voilà que tout est perdu. Nous serons pauvres encore une fois. C’est trop dur ! D’ailleurs, je n’ai jamais eu d’argent depuis que je suis sortie de chez nous. — Ici, le visage de Mrs Conklin se plissa comme si elle allait pleurer, mais elle se contint : — L’Ancien a eu tort, grand tort. S’il demandait seulement à cet officier de lui laisser couper le maïs, je suis