Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la sympathie ; mais, en se tournant avec agitation, il vit apparaître sur le coteau, de l’autre côté du creek, la petite troupe de cavaliers, le lieutenant et un civil, probablement l’arpenteur, marchant en tête. Bancroft s’aperçut alors que son compagnon l’avait quitté ; il venait de disparaître dans le maïs. Aussitôt il le suivit, mais comme il franchissait l’échalier, Conklin, se montrant de nouveau, un fusil de chasse bien fourbi dans la main droite, lui dit d’un ton décidé :

— N’entrez pas ici. Ce n’est pas votre maïs. Vous ne devez pas vous mêler à l’affaire.

Et machinalement Bancroft obéit, les yeux fixés sur cette figure droite en long habit de toile et en pantalon de coutil rentré dans les hautes bottes non cirées. Tandis que les soldats approchaient, le jeune lieutenant mit lestement pied à terre, jetant sa bride à un troupier ; puis il vint, tout près de la barrière, interpeller l’Ancien, après avoir touché sa casquette d’un air négligent :

— Eh bien. Mr Concklin, nous voici, et je regrette d’avoir l’ordre d’abattre vos palissades, de détruire votre moisson, mais il n’y a pas autre chose à faire.

— Oui, répondit gravement l’Ancien, je suppose que vous connaissez votre besogne. Mais,.. — Et en parlant il plantait son fusil devant lui, les deux mains appuyées sur le canon, — quant à faire tomber mes palissades et à détruire cette moisson, je ne vous le conseille pas !

Et la longue lèvre supérieure descendit sur celle de dessous, donnant une expression de résolution opiniâtre au dur visage tanné.

— Vous ne paraissez pas comprendre, répliqua le lieutenant avec impatience. Cette terre appartient aux Indiens, elle leur a été assurée par le gouvernement des États-Unis ; vous n’avez le droit ni de l’enclore, ni de la planter.

— Ça c’est juste, répondit Conklin du même ton ferme et tranquille. Ça n’a rien à voir à la chose, mais les Indiens ne se servaient pas de la terre ; ils se tenaient dans les bois. J’ai défriché cette prairie il y a dix ans, et il m’a fallu huit chevaux pour cela ; je l’ai ensemencée depuis jusqu’à ce que les récoltes soient devenues bonnes ; maintenant vous me dites que vous viendrez détruire mon maïs. Non, monsieur, vous ne ferez pas cela, ceci n’est pas juste.

— Juste ou injuste, repartit le jeune officier, j’ai mes ordres et il n’y a pas à discuter. Allons, sergent, que trois hommes tiennent les chevaux et que l’on renverse cette palissade.

Comme le sergent posait la main sur la lourde clôture, l’Ancien le mit en joue et dit : — Si cette barre tombe, je fais feu.