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« qui tâchent de se persuader que tout ce qui arrive ou semble en voie d’arriver par un mouvement lent et continu est pour le mieux. » Sir Fr. Pollock est un conservateur libéral, et on ne le réconcilierait ni avec le désétablissement de l’Église anglicane, ni avec l’émancipation de l’Irlande, en lui démontrant que ce sont là les conséquences nécessaires et fatales d’une évolution historique. Il se résignera, s’il le faut, à l’inévitable, aux arrêts de la destinée ; mais il ne pense point que le destin travaille de propos délibéré à notre bonheur, que les sages soient tenus de l’aider dans ses destructions, et il compare le home-rule à un billet signé par un prodigue poursuivi par ses créanciers, et qui achète un peu de calme et de repos provisoire à des conditions usuraires.

En sa double qualité d’évolutionniste et de conservateur, sir Fr. Pollock a la sainte horreur du dogmatisme continental. Toute science n’est selon lui que l’application de la logique à un certain ordre de faits, et il ramène tout à la psychologie analytique. Les spéculations sur l’origine des sociétés et sur les droits primitifs de l’individu lui semblent des rêveries absurdes et malfaisantes. Il range le Contrat social « parmi les impostures les plus réussies et les plus funestes, » et il prétend que la déclaration des droits de l’homme ou les principes de 1789 ont eu pour effet « d’entraver le développement politique de la France dans des proportions que l’on ne saurait, pour ainsi dire, calculer. » C’est ici, surtout, nous dit-il, qu’il faut retourner à Aristote et affirmer avec lui que l’homme est un animal politique, qu’en vivant en société il ne fait qu’obéir à une loi de sa nature, à quoi il faut ajouter qu’il n’y a pas de société possible sans un pouvoir souverain, qui ne relève et ne dépende de personne, qui ne soit ni temporaire, ni délégué, ni sujet à des règles spéciales qu’il ne puisse modifier, ni responsable envers aucun autre pouvoir sur terre. Ce pouvoir souverain a sans doute des devoirs moraux à remplir, mais ses obligations d’honneur ne sauraient être des obligations légales, puisque c’est lui qui fait la loi, et rien n’est plus absurde que de prétendre lui assigner des bornes. Il n’en est pas d’autres que la rébellion des sujets s’ils ont trop à se plaindre de lui, et s’ils jugent que, dans certains cas, la soumission est un plus grand malheur que la résistance.

La souveraineté peut être exercée par le prince, par un conseil, par une assemblée. En Angleterre, elle est échue depuis longtemps au parlement, et comme l’a dit Blackstone, ce qu’il fait, nulle autorité ne peut le défaire. — « Le parlement, écrivait Thomas Smith dans la seconde moitié du XVIe siècle, abroge les vieilles lois, crée les lois nouvelles, change les droits et les possessions des particuliers, légitime les bâtards, établit les formes de religion, altère les poids et mesures, règle la succession à la couronne, définit les droits douteux pour les