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fleuve, sortant du Tibet et de la Chine, sépare d’abord les États vassaux de la Birmanie anglaise des régions dépendantes du Tonkin. Puis il voit se grouper le long de son cours les principautés laotiennes qui, dans la suite des siècles et suivant les hasards des guerres, se sont trouvées alternativement placées sous la suzeraineté du Siam, leur voisin de droite, ou de l’Annam qui, à gauche, s’étend jusqu’à la mer. Enfin il entre dans le royaume du Cambodge, protégé de la France, et arrose de ses bouches nombreuses notre colonie de Cochinchine. Il forme ainsi un trait d’union gigantesque entre nos possessions septentrionales et méridionales de l’Indo-Chine.

C’est dans la partie moyenne du Mékong, dans le Laos, que les Siamois, profitant de notre indifférence et de notre faiblesse, avaient prétendu s’installer d’une manière définitive. Maîtres du cours du fleuve, ils avaient poussé leurs avant-postes si loin sur la rive gauche qu’il ne serait bientôt plus resté à nos protégés annamites qu’une étroite langue de terre le long de la mer de Chine, séparant ainsi les uns des autres les différens tronçons de notre empire colonial. Que le Siam fût tombé un jour, comme la Birmanie, sous le protectorat d’une puissance européenne, et celle-ci aurait pu s’établir en maîtresse, au cœur même de nos possessions du Tonkin, de l’Annam et du Cambodge, sur lesquelles elle aurait été tentée de mettre la main.

La possession de la vallée entière du Laos, ou tout au moins des territoires situés sur la rive gauche du Mékong, était donc indispensable à l’existence de l’Indo-Chine française, et la nécessité de leur occupation effective avait été sans cesse affirmée par tous ceux qui connaissent notre colonie. Les avertissemens n’ont pas manqué au gouvernement. Aucun des ministres qui se succédèrent au quai d’Orsay ne voulut prendre l’initiative d’une expédition militaire ; toute leur action se borna à un échange de correspondances. La mollesse dont nous avions trop longtemps fait preuve avait enhardi les Siamois à ce point qu’ils avaient pu s’installer à 40 kilomètres de Hué et menaçaient ailleurs de couper le Tonkin de l’Annam. Le gouvernement français ne pouvait tolérer plus longtemps de semblables envahissemens.

Au mois de mai dernier, M. de Lanessan fut invité à réunir les forces dont il pouvait disposer, à former des colonnes de tirailleurs annamites et à les diriger sur le Mékong avec ordre de refouler les postes siamois qu’elles trouveraient devant elles. Au cours de cette opération qui nous remit, sans rencontrer de résistance, en possession d’un territoire de près de 500 kilomètres, deux faits graves se produisirent. À Khône, les Siamois qui avaient évacué l’île essayèrent le lendemain de surprendre la garnison ; ils s’emparèrent du capitaine Thoreux et de quelques Annamites qui escortaient un convoi. Dès qu’il en eut été informé, M. Develle ordonna au représentant de France à Bangkok, M. Pavie, de faire savoir à la cour de Siam que, si cet officier et les