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daigna accepter du fait, honneur insigne qui fut bientôt suivi d’un plus grand. La population fut investie du droit d’envoyer un député aux fidèles communes. Mais cet homme politique, jadis l’élu d’une vingtaine de privilégiés, tenait aujourd’hui ses pouvoirs de près de 5,000 électeurs, acquis à l’opinion libérale, et qui votaient invariablement contre les cabinets conservateurs. Depuis 1879, le siège était occupé par un bel homme réjoui, sir Francis Careford, Bar’, — grand propriétaire, chasseur, excursionniste, yachtsman accompli, qu’on rencontrait à Paris, à Nice, à Monte-Carlo, partout ailleurs qu’à la chambre. Si gai du reste, et si populaire qu’on ne songeait pas à lui en vouloir. À un électeur exigeant qui lui reprochait ses absences, il avait répondu qu’il ne quittait jamais Londres sans avoir conclu avec un de ses collèges de l’opinion opposée l’accord en vertu duquel deux députés, désireux d’être libres, s’engagent à s’abstenir l’un et l’autre dans les votes importans. C’était une tâche malaisée que de vaincre un pareil homme. Il était riche lui aussi : et son titre de baronnet lui donnait une situation que Winterbottom était bien loin de posséder. La distance sociale qui séparait les deux personnages irritait infiniment plus le commerçant que le libéralisme mondain et élégant de sir Francis. Lutter contre lui, lui arracher son siège au nom d’une morale supérieure dont le négociant se croyait le champion, c’était là, aux yeux de Richard, une action essentiellement méritoire, un succès qui attirerait sur sa personne les sympathies bienveillantes du gouvernement.

Alors les têtes se rapprochèrent. Le gros Simpson et le long Watkins pérorèrent à leur tour ; fort avant dans la nuit, on discutait encore, on convint qu’on ne laisserait pas au représentant libéral de Barton la faculté d’être élu, comme aux renouvellemens précédens, unopposed. Jusqu’à présent, en effet, l’heureux législateur avait eu la chance de passer sans concurrent. Sa réélection n’avait jamais été combattue ; aussitôt qu’était fixé par l’autorité compétente le jour de la « nomination, » c’est-à-dire de la désignation des candidats, deux de ses fidèles se procuraient auprès du returning officer chargé de présider aux opérations électorales, une formule imprimée dont ils n’avaient qu’à remplir les blancs. « Nous, soussignés, écrivaient-ils, A et B électeurs et habitans, de Barton dans le Moorshire, désignons par les présentes la personne suivante comme apte à remplir l’office de membre du parlement pour ledit borough de Barton. » Venaient ensuite les indications relatives au nom, au prénom, au domicile, au rang ou à la profession de l’aspirant député. Au-dessous, les deux signatures de A et de B, véritables initiateurs de la candidature et appelés, comme tels, proposer et seconder. Et plus bas, après leur paraphe, on