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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/846

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mêlés en ce siècle et pénétrés jusqu’à se confondre, les rapports ne sont qu’intermittens. Ou, pour mieux dire, il y a eu rencontre par occasion ; puis on s’est séparé, et chacun, reprenant son indépendance, a recommencé d’aller, suivant sa destinée, par des routes divergentes. À travers tout le XVIIIe siècle, le journalisme se prépare et s’essaie à naître, attendu que l’œuvre du siècle, dans son dessein général, n’est qu’un long effort de vulgarisation. Il éclate avec la révolution, puisqu’il n’est qu’une conséquence ou qu’un moyen du règne de la multitude. Ayant commencé par l’invective, il tombe presque aussitôt dans la futilité qu’autorise seule le despotisme de l’empereur. La belle époque est le temps de la restauration et de la monarchie de juillet ; des conditions particulières et qui, depuis lors, ne se sont plus trouvées réunies, favorisent l’éclosion de ces deux choses également disparues et pour les mêmes causes : le journalisme littéraire et l’éloquence parlementaire. C’est le temps des polémiques fameuses du Journal des Débats, du Globe, du Constitutionnel et du National. Et ce n’est pas sans surprise aujourd’hui que nous entendons parler d’un temps où « un article de journal était un événement. » Seul le journal des Berlin a survécu. Le tableau de Jean Béraud, qui figura au Salon de 1889, nous montre quelle en était la rédaction l’année du centenaire. Nous y reconnaissons, pour ne pas citer les autres, Taine avec Renan et Weiss avec John Lemoinne. Mais voici qu’après cent ans, non content de subsister, il se met à rajeunir… Et il se pourra bien qu’il reste toujours un ou deux spécimens du journalisme tel que le comprenaient nos pères, à l’usage des lecteurs qui ont conservé le goût de la langue française. Même cela deviendra d’autant plus nécessaire, à mesure que nous serons envahis davantage par le charlatanisme et par le galimatias où il s’exprime. Néanmoins ce journalisme n’est plus le nôtre. Emile de Girardin l’a tué avec son invention du journal à quarante francs, comme son pistolet en a tué l’un des plus brillans représentans : Armand Carrel. Le mouvement est d’ailleurs de ceux contre lesquels il serait absurde de réclamer. Il tient à trop de causes ; à force d’être nécessaire, il en devient légitime. Un journal n’est plus pour nous qu’un bureau de renseignemens, qu’une agence d’affaires, où il y en a de véreuses comme dans toutes les agences, et qu’un office de publicité. Mais, à mesure que le mouvement s’accentue, et dans le sens même de l’institution du journalisme, on voit bien que celui-ci diffère, dans son essence et par son objet même, de la littérature. Car il ne s’occupe que de l’actualité, de la plus immédiate et de la plus fugitive, actualité du jour, de l’heure et de la minute présente. Mais, l’objet de la littérature,