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le toit, consentant parfois à s’appuyer sur les étais qu’on leur a offerts, tantôt les dédaignant, descendant, montant, aidant mutuellement leur indépendance. Puis, à côté, un arbre énorme qui contraste avec la petitesse de la maison. Comme accessoires, étendus sur des poteaux, des filets qui sèchent, des pinasses échouées, des coquilles d’huîtres, un ruisseau qui se perd dans le sable et que, par bonheur, la marée nettoie, avec une nuée d’enfans, grouillant, jouant, les cheveux embroussaillés, drôlement malpropres, se disputant dans cette langue gasconne qui roule les r et saute sur le commencement des mots afin d’arriver plus vite à la syllabe finale, la musicale qui tinte un son de cloche. Masures d’artistes, de vrais artistes inconsciens d’eux-mêmes et qui font de l’art à la façon des oiseaux qui chantent parce que le bon Dieu et le beau ciel l’ont voulu ainsi. Il en sort des parfums d’huile parce que le Midi aime la friture à l’adoration et le soir, quand le père est revenu de la pêche et qu’on soupe en plein air, à la lueur d’une bougie qui vacille au vent en envoyant des ombres gigantesques, il se consomme d’incroyables quantités de tomates. On en a la preuve aux monceaux d’épluchures mêlées d’arêtes et de têtes de poissons entassées sur le devant des portes.

À l’autre bout de la plage, on est plus distingué et moins amusant. Là se promènent les gens de Bordeaux, pour la plupart gros négocians que n’effraie pas la cherté de la vie à Arcachon. Le samedi, au sortir de leurs bureaux, ils courent à la gare, montent en wagon, arrivent avant même d’avoir achevé la lecture du journal acheté au départ, se rendent à leur villa et jouissent de leur liberté jusqu’au lundi matin. Le dimanche, la plage présente une animation extraordinaire, surtout lorsqu’il y a régates, ce qui a lieu en été plusieurs lois par mois. Elle fourmille de spectateurs. Les hommes, que leurs occupations habituelles rendent connaisseurs des choses de la mer, sont empressés, animés. Ils remuent et gesticulent, discutent les chances de tel ou tel bateau, détaillent ses qualités et ses défauts, énumèrent ses victoires et ses défaites. Les femmes, en toilettes claires, rient, babillent, mangent les gâteaux que des garçons pâtissiers, circulant dans la foule, portent sur leur tête dans des récipiens en zinc, avec l’intention de les tenir frais, c’est-à-dire chauds, car, au soleil, ces mannes doivent assez bien rappeler aux gâteaux le four dont ils sont sortis le matin. Certains d’entre eux sont affublés du nom de casse-museaux. Les étrangers sont nombreux. S’ils admirent de confiance l’habileté des manœuvres, ils jouissent sincèrement de la vue de ces yachts élégans, haut-gréés, chargés de toile, que la brise couche sur les vagues. Réunis d’abord, ils s’envolent semblables à une