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l’empêche de se dessécher et par conséquent l’affermit. Pendant l’antiquité, alors que les forêts arrivaient, épaisses et touffues, jusqu’au rivage, les dunes avaient peu de profondeur ; à la fin du siècle dernier, elles avaient tellement augmenté qu’on pouvait calculer en années l’époque à laquelle Bordeaux serait couvert par le sable.

La méthode de défense consiste à opposer à la dune en mouvement un premier obstacle au voisinage de la mer, en élevant, parallèle au rivage, une palissade en planches contre laquelle le sable s’amoncelle et qui l’empêche de continuer sa marche vers l’intérieur. Quand le talus a atteint le sommet de la palissade, on remonte celle-ci, ce qui exhausse d’autant la crête de la dune artificielle. La petite colline ainsi formée protège contre le vent le sable qui s’étend au-delà de la palissade. On l’ensemence alors de jonc marin ou gourbet (Calamagrostis arenaria) dont les racines le consolident par leur feutrage résistant. Sur cette seconde plage, on provoque la création d’une seconde colline par une rangée de clayonnages, et l’on peut maintenant, sous la protection de ces deux crêtes successives, faire un semis serré de graines de pin et de gourbet que l’on empêche d’être enlevées par le vent en recouvrant le sol de branchages uniformément distribués. Lorsque les arbres, et la végétation ont pris une force suffisante, la dune est fixée.

On attribue généralement à Brémontier la découverte de cette méthode ; il en a été glorifié de toutes les façons. On a dressé en son honneur en 1818, près de la Teste, une pyramide et, en 1878, un monument sur une place de la ville d’hiver d’Arcachon ; depuis près d’un siècle, la voix publique chante ses louanges. Or rien n’est plus injuste : le public s’est laissé tromper encore une fois et sa voix a chanté à faux. La portion de gloire qui appartient à Brémontier se réduit étrangement lorsqu’on en examine de près les titres ; celle dont il jouit est un véritable déni de justice. Brémontier s’est montré beaucoup plus habile à profiter des travaux et des découvertes d’autrui qu’à arrêter la marche envahissante des dunes, et il apporte à l’histoire un exemple de l’antique sic vos non vobis, qui n’est point le premier et ne sera pas, hélas ! le dernier. Mais c’est un cas de conscience pour la postérité mieux informée que de rendre aux auteurs de la découverte qui ont été des bienfaiteurs de l’humanité la part de renommée qui leur revient et qui leur a été dérobée.

L’origine de la forêt d’Arcachon et de celles qui recouvraient toute la côte de Gascogne se perd dans la nuit des temps. Le saltus Vasconiœ est mentionné par Strabon, Pline, Varron et d’autres encore. Les habitans qui la conservaient agissaient-ils sous