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Il serait bien à désirer que l’étude détaillée de chacun de ces étangs fût abordée. Le travail serait considérable ; il devrait être méthodique, précis et surtout exempt de ces compendieuses inutilités qui, trop généralement, encombrent ces sortes de monographies. La monographie d’un lac, quelque part qu’il soit situé, est assez peu intéressante en elle-même, si elle ne sert à établir la connaissance d’une loi naturelle. Dans le cas présent, il s’agirait de découvrir les lois d’une formation maritime dont on retrouve les analogues en diverses régions du globe. Il faudrait commencer par dresser un plan précis de chacun des lacs et du terrain environnant par courbes d’égal niveau au-dessus et au-dessous de l’eau. On ferait ensuite des analyses d’eaux à diverses profondeurs et, en eau salée, des mesures de densité poursuivies sans interruption pendant toute l’année et en des points différens du bassin. On mesurerait la vitesse des courans, on doserait les matières en suspension, on dresserait des courbes de marées dignes de foi, portant les corrections indispensables de salure et de température. Une comparaison des valeurs trouvées dans ces divers lacs apprendrait leur genèse, peut-être attribuable à des affleuremens d’argile situés un peu en arrière du cordon littoral des dunes ; on saurait leur mode de remplissage par les eaux de pluie, faisant lentement disparaître les eaux salées à l’aide d’une filtration s’accomplissant sous une pression mesurée par la différence de niveau entre la surface de la mer et celle du lac, ainsi que par la propriété des grains de sable de fixer par attraction moléculaire les sels en dissolution. On serait renseigné sur les phases successives de leur existence. Toutes les hypothèses énoncées jusqu’à présent et qui ne reposent, pour la plupart, que sur des opinions personnelles, seraient confirmées ou détruites d’une façon définitive. Ces documens seraient précieux pour la science ; mais dans le cas des étangs salés, ils auraient une utilité pratique immédiate. Sans eux, on demeure dans l’empirisme. Or, notre époque possède cet avantage d’obliger les esprits à se livrer méthodiquement au travail. Espérons que ce point de vue utilitaire, cette transformation de données scientifiques en argent comptant finira par être comprise. Personne ne s’en plaindra, ni les savans, bien certainement, ni cette forte et honnête population de pêcheurs, qui peine presque sans profit, et auxquels on a le devoir de faire gagner leur pain au prix de labeurs un peu moins rudes, ni la France, à laquelle il serait bon, de temps en temps, de penser sincèrement, paradions plus encore que par paroles.


J. THOULET.