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négliger. Ils lui ont donné le nom approprié de Sea gardens, « Jardins de la mer. » Ce sont des bassins d’eau profonde que les récifs abritent des courans et dans lesquels se déploie cette merveilleuse végétation de l’Océan, dont la vue transportait d’admiration Christophe Colomb et le faisait s’écrier : La lengua no basta para decir, ni la mano para escribir todas las maravillas del mar ! « La langue ne saurait dire, la main ne saurait écrire toutes les merveilles de la mer. » Cet océan qui est, pour l’homme, le domaine de l’asphyxie et de la mort, est en effet plus peuplé qu’aucune terre, plus riche en végétation qu’aucune de nos forêts vierges ; cette végétation, nulle main humaine ne l’atteint et ne la mutile dans ces abîmes profonds où règne, sous les flots tourmentés, une éternelle immobilité. Dans cet étrange élément où le règne animal fleurit, où nombre d’animaux se groupent et s’épanouissent ainsi que des fleurs, où le corail s’étend en forêts purpurines, coralium decus liquidi, disait Priscien, les couleurs les plus charmantes, les nuances les plus délicates attirent et charment les regards.

Ces « jardins de la mer » renferment des plantes infiniment variées ; on y discerne la merveilleuse floraison des polypes, leurs fleurettes blanchâtres et diaphanes sortant d’un mamelon rose, renflé en forme d’urne, s’ouvrant et se refermant, au rapide et gracieux sillage de poissons zébrés de mille couleurs. On y voit les luminaires, aux courroies artistement frangées et plissées, les agares aux formes d’éventails, les algues roses, brunes, vertes, les madréporaires tachetées, le zoanthe aux cent bras, sans cesse en mouvement, les astræa aux lamelles étoilées, les gorgonia et les « plumes de mer, » oscillant aux courans ainsi que des buissons fleuris à la brise.

Les indigènes confectionnent, pour les étrangers qui visitent ces jardins de la mer, des appareils primitifs, sortes de boîtes vitrées qui, étendant le champ de la vision, permettent d’observer, jusqu’au fond des bassins, les manifestations multiples de cette végétation sous-marine qui abrite et nourrit tout un monde d’animaux, lesquels se recherchent ou se fuient, se caressent avec amour ou se déchirent sans merci, qui rampent et courent, volent et nagent, s’enfouissent dans le sable ou gîtent dans des cavernes, s’édifient des demeures ou s’attachent aux rochers. Colomb signalait à sa royale maîtresse l’intensité de vie végétale, la multiplicité et l’infinie variété des poissons sur ces côtes. Les galères, physalies pélasgiques, abondaient, alors comme aujourd’hui, cheminant à la surface, parées des plus riches couleurs, déployant à la brise leur petite voile de pourpre ou d’azur qui entraîne une nacelle de nacre. Si charmantes, si inoffensives qu’elles soient en apparence,