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doctrine, parce qu’elle est la forme la plus matérialiste du spiritualisme religieux auquel il veut continuer à croire ; les journaux s’emplissaient de récits d’apparitions et de communications extraterrestres, et la masse des curieux, intéressés, repoussait les explications scientifiques boiteuses risquées par Faraday. Un instant on put croire que le nouveau monde allait avoir une religion neuve ; les solitudes où l’homme venait à peine d’entrer, et où la nature est triste et terrible, semblaient frémir du souffle des esprits évoqués.

De ce spiritualisme si grossier, Harris tira des conséquences extraordinaires et ingénieuses. Ses disciples croyaient, d’après sa prédication, « qu’il existe bien réellement une seconde vue au moyen de laquelle nous pouvons pénétrer les brouillards de cet univers et nous mettre en rapport avec celui qui fut jadis un homme, justement afin d’établir avec nous une parenté humaine. Du moment qu’on peut entrer en relation avec les mauvais esprits qui maintenant, comme jadis, peuvent prendre possession et détruire physiquement et moralement ceux qui ne leur résistent pas, on peut entrer en relation avec Dieu, dont la présence est prouvée par des manifestations d’un caractère nouveau à nos expériences, mais qui ont déjà eu lieu dans le passé. Le souffle de Christ, lorsqu’il descend dans l’homme, se fait connaître par des sensations physiques, la vie roule à flots dans les veines, on éprouve irrésistiblement conscience qu’il vient de nouveau sur terre avec tout son pouvoir et toute sa gloire, pour habiter en nous, et grandir nos facultés. Ceux qui alors s’abandonnent à lui entièrement, sans réserve, qui sont prêts à mourir à leur vieille nature, ceux-là, même sur terre, reçoivent l’afflux divin, sont régénérés, capables d’agir avec puissance sur autrui. Christ est incarné en eux pratiquement, dynamiquement ; ils le sentent corporellement vivre en eux par des sensations physiques, et principalement par une modification de la respiration naturelle, devenue plus rapide. Cela paraît absurde : c’est pourtant promis d’un bout à l’autre des évangiles. »

Ainsi du moins l’affirmait Lawrence lui-même, entièrement converti, devenu une chose entre les mains du prophète. C’était dans des terres nouvellement ouvertes par le pionnier, à Brocton, sur les bords du lac Érié, que ce singulier pasteur d’hommes avait établi sa communauté. Oliphant, le swell des salons de Londres, le correspondant batailleur, s’y rendit pour accomplir le noviciat imposé aux disciples. On lui donna pour cellule un grenier meublé d’un unique matelas et de beaucoup de caisses d’oranges vides, inappréciables pour servir de tables et de commodes, puis on lui fit nettoyer une grande écurie. Durant des jours et des jours, il