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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/152

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neuve, cachée et comme défendue par des remparts de fleurs sauvages. Elles poussaient là si drues, si nombreuses, toutes, les anémones, les cyclamens, les myrtes, les roses de Saron, les passe-roses, les iris, qu’en l’absence de sentiers, les pieds s’épuisaient à marcher dans leur beauté. Au-dessus de la maison, il y avait une vieille caverne profonde et froide, creusée par on ne sait quel peuple traqué, à une date dont la mémoire était perdue ; et dans le lointain se dressaient des ruines merveilleuses, titaniques, un château des bords du Rhin poussé par miracle dans ce paysage oriental : la vieille citadelle d’Athlit, celle qui tomba la dernière, le suprême abri des croisés en Palestine.

Des visites montaient parfois jusque-là, mystiques venus d’Amérique ou d’Angleterre, simples curieux, anciens amis mondains toujours bien reçus. Un jour, un homme vint que Lawrence n’avait pas vu depuis les guerres de Chine. C’était Gordon. Il avait quitté le Soudan pour quelques mois, dans l’ardent désir de voir Jérusalem, et tout ce pays d’élection où l’auteur du seul livre avait vécu et triomphé de la mort. L’esprit de Lawrence et le sien semblèrent se reconnaître. Durant quelque temps ces deux fanatiques de croyances si différentes ne se quittèrent plus. Lawrence montra au héros le manuscrit de Sympneumata, lui expliqua les mystérieuses révélations qui lui étaient venues de l’au-delà, et quel était le sens de la vie, et comme il fallait faire pour communier physiquement avec Dieu. Rien n’étonnait Gordon : « Tout cela est dans la Bible, » disait-il sans se troubler. La Bible, son compagnon n’y attachait pas plus d’importance qu’à un autre livre sacré. Tout dépend de l’inspiration et de l’initiation personnelle. L’âme humaine est un lac qui, selon qu’il est plus ou moins pur, réfléchit plus ou moins l’intelligence suprême dont l’univers n’est que l’ombre projetée. Cependant tous deux s’accordaient très bien. « C’est peut être, conclurent-ils un jour, parce que nous sommes les deux plus grands toqués de la terre ! »

C’était peut-être aussi parce que tout est pur aux purs. Il fallait l’admirable simplicité chaste de Gordon pour ne point s’étonner, avec quelque scandale, des étranges théories du ménage Oliphant. Le spiritisme de Harris, son imagination du Dieu mâle et femelle, « deux dans un, » le naturalisme idéaliste d’Emerson, les symboles de la Kabbale s’y mêlaient de la façon la plus inattendue à la conception chrétienne de la chute et de la rédemption. Si la Religion scientifique et Sympneumata, au lieu d’être un fatras, étaient écrits dans une belle langue, ils seraient peut-être les plus beaux poèmes mystiques composés depuis le Paradis perdu, mais un poème où la folie de pureté qui hantait les deux époux s’exaspérait pour aboutir à la sensation de voluptés surhumaines.