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l’occupation et un gagne-pain plus facilement qu’en province, et, une fois qu’on s’y est établi, on se décide malaisément à s’en retourner, même si la lutte pour l’existence y est aussi pénible qu’à la campagne ou dans les petites villes. La proportion de ceux qui quittent Berlin chaque année est très faible. Une capitale n’est pas moins recherchée par les élémens dangereux et fainéans d’une nation. Le voleur, le mendiant de profession, et la fille y trouvent des ressources qu’ils n’auraient pas ailleurs ; aussi n’y a-t-il rien de surprenant dans le chiffre de 21,000 personnes ayant subi des condamnations, connues de la police et vivant à Berlin, que donne le rapport de la présidence de police pour 1880. Ce chiffre a dû augmenter dans l’intervalle. Il y avait également 1,200 personnes vivant à Berlin et soumises à la surveillance de la police. Celle-ci connaissait le domicile seulement du tiers, et cela malgré le système perfectionné de l’inscription des locataires, qui fonctionne en Allemagne. Tout propriétaire, tout locataire principal, toute personne ayant des domestiques, est tenu de faire inscrire au bureau de son district le nom, l’âge, etc., de quiconque loge dans sa maison ou dans son appartement. Ces renseignemens sont centralisés dans un service de la présidence de police, où, moyennant 25 centimes, on peut se renseigner sur l’adresse de quiconque habite Berlin. La contravention, la non-inscription, est punie d’une amende de 37 fr. 50 au maximum. Le service de la sûreté est rendu plus facile par cette obligation imposée aux habitans. Mais cela n’empêche pas les gens qui ont intérêt à se cacher de dissimuler leur présence. Il leur suffit, de trouver asile chez des amis qui ne les fassent pas inscrire à la police, de changer souvent de logement, de sortir le soir ou la nuit, et le monde du crime à Berlin n’agit pas autrement sous ce rapport que celui des autres capitales.

Il est impossible d’évaluer le nombre de voleurs, d’escrocs, de gens à existence louche qui vivent dans une grande ville. La statistique est impuissante à en faire le recensement. On connaît approximativement le nombre des gens qui ont subi des condamnations, celui des filles inscrites est de 4,000 à Berlin. Il est tout aussi difficile de réunir des informations précises sur les mœurs, sur l’organisation du monde du crime. De temps à autre, un procès retentissant vient jeter de la lumière sur les habitudes, les accointances des malfaiteurs, ou bien, un écrivain, en quête de pittoresque, accompagne une descente de police dans un bouge mal famé, et livre le lendemain une description plus ou moins typique à un journal ou à une revue. Il n’y a guère qu’un homme de la partie, un juge d’instruction ou un employé de la police, qui soit en mesure de fournir au public un tableau exact des dessous de la société. Nous avons sous les yeux un essai de ce genre : c’est un