a d’excellens historiographes de la vie de chaque jour, soit qu’ils nous conduisent à la grande foire de Troyes, où sont amoncelées tant de richesses, hanaps d’or et d’argent, étoffes d’écarlate et de soie, laines de Saint-Omer et de Bruges ; soit qu’ils nous dépeignent la petite ville haut perchée, endormie aux étoiles, vers laquelle monte péniblement un chevalier tournoieur ; soit qu’ils nous montrent le vilain, sa lourde bourse à la ceinture, son long aiguillon à la main, qui compte ses deniers au retour du marché aux bœufs ; soit qu’ils décrivent tantôt le presbytère, tantôt quelque noble fête, où le seigneur, tenant table ouverte, se plaît aux jeux des ménestrels. » Quel que puisse être cependant l’intérêt de ce genre de détails, il n’en faudrait pas exagérer l’importance, ni surtout accepter l’authenticité sans contrôle, et ceci revient à dire qu’ailleurs que dans les Fabliaux les mêmes renseignemens abondent, plus sûrs et plus précis. Si « réalistes » que soient nos trouvères, les gens de loi, par exemple, le sont encore davantage, et de même que de nos jours, sur nous-mêmes, un état de lieux, un inventaire, un procès-verbal de saisie, nous en apprennent plus que les descriptions les plus minutieuses des plus exacts de nos romanciers, de Balzac ou de M. Paul Bourget ; ainsi, ce que nos Fabliaux nous procurent ou pourraient nous procurer de renseignemens, nous les connaissons d’autre part, et quand Rutebeuf ou Colin Malet n’auraient jamais écrit, nous n’ignorerions sans doute ni comment on mangeait, ni comment on s’amusait, ni comment on aimait, à Paris, au temps de saint Louis. Sous ce rapport donc, l’intérêt des Fabliaux ne passe pas celui d’un roman de la Table-Ronde, ou d’une chronique latine. Il ne serait plus vif, et surtout un peu particulier, que s’il s’y mêlait quelque intention d’art, de la nature intime de celle que l’on aime dans les tableaux des maîtres hollandais, ou encore une intention de satire ; — et, pendant longtemps, c’est ce que l’on y a cru voir, c’est ce que l’on y croit voir encore aujourd’hui.
M. Bédier ne l’y voit point : « L’esprit des Fabliaux, dit-il en propres termes, n’est que rarement satirique ; » et si je ne crois pas qu’il l’ait tout à fait démontré, quelques-unes de ses observations sont essentielles à retenir. Par exemple, il a disculpé nos trouvères du reproche de lâcheté qu’on leur adresse encore aujourd’hui trop souvent, — que nous leur avons nous-même autrefois adressé, — sans faire attention qu’il nous fallait opter, et que, si les Fabliaux ne s’étaient attaqués généralement qu’aux faibles, la portée satirique s’en trouverait diminuée d’autant. Pas de satire sans quelque courage ; et quel courage y a-t-il à