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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/342

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REVUE DES DEUX MONDES.

contraire aux traditions égyptiennes, et Zosime ajoute que les prêtres s’y opposaient, attribuant tout aux livres d’Hermès, personnification du sacerdoce égyptien ; ce qui est conforme aux indications des auteurs connus, tels que Diodore de Sicile, Jamblique, Tertullien, Galien, etc. On voit combien la science résistait alors aux attributions personnelles.

Là aussi Zosime parle des idoles colorées, réputées vivantes et qui inspiraient la terreur au vulgaire, dans un langage qui rappelle les fraudes signalées par Héron d’Alexandrie et par les pères de l’église. À côté des recettes techniques, on lit des mythes singuliers, tels que le récit tiré du livre d’Enoch, sur les anges séducteurs qui ont enseigné les arts aux femmes, la source d’étain liquide, à laquelle on offre une vierge, les miroirs magiques d’électrum construits par Alexandre, et les talismans d’Aristote ; ces légendes, qui envisageaient Alexandre et Aristote comme des magiciens, remontent aux Alexandrins, et elles ont passé aux Arabes, puis au moyen âge latin. Les talismans de Salomon figurent également ici. Ce sont de nouvelles preuves de la connexion qui n’a pas cessé d’exister entre les pratiques magiques et les pratiques alchimiques, depuis les Grecs et les Syriens jusqu’aux Arabes.

Signalons un morceau bizarre, qui semble écrit au temps de la lutte des chrétiens contre l’hellénisme, et où l’auteur ignorant confond Hippocrate avec Démocrite. Il l’envisage comme le bienfaiteur de l’humanité et l’oppose à Homère, regardé comme le créateur du mal dans le monde et le type de la perversité. Il a été maudit de Dieu et justement frappé de cécité, et cependant ses paroles font autorité dans les tribunaux et autres lieux d’oppression ; sa doctrine rend les juges contempteurs de la justice. Ce passage a-t-il été composé au iiie siècle de notre ère, ou bien plus tard, par quelque médecin de l’École dite hippocratique de Gandisapora ?

En résumé, l’alchimie syriaque est formée surtout des traductions des alchimistes grecs, dont elle a conservé de précieux fragmens. Si elle offre quelque trace des traditions babyloniennes et persanes qui n’ont pas passé par l’intermédiaire des Alexandrins, cependant elle ne contient aucune doctrine nouvelle, ni même aucun fait important, aucune préparation essentielle qui n’existe pas chez les Grecs. Les Syriens, malgré leur zèle pour la science, ne sont pas parvenus à une véritable originalité ; leurs œuvres n’ont joué qu’un rôle dans l’histoire, celui de maintenir la continuité de la culture intellectuelle et de servir de point de départ à la science arabe.


M. Berthelot.