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et qu’elle a pu jouer un rôle dans la conclusion du pacte de la Sainte-Alliance. Son roman de Valérie est le prétexte invoqué par M. Brandes pour consacrer une si longue étude à cette figure qui n’eut pas et ne pouvait pas avoir de réelle importance dans l’histoire littéraire. Dans tout le reste de son œuvre, M. Brandes s’en est tenu prudemment, à quelques petites fautes près, aux grands noms consacrés par le temps, pourquoi a-t-il fait ici exception ? Ou bien, s’il voulait étudier les influences politiques, pourquoi alors s’en est-il tenu à ce seul nom de Mme  de Krüdener ?

Pour finir d’emplir ce volume, M. Brandes y a joint quelques chapitres sur les œuvres de jeunesse de Victor Hugo, de Lamartine et de Lamennais. Pour celui-ci, nous concédons que c’était là le lieu de parler de ses premières œuvres. Mais, pour Lamartine par exemple, parce qu’il fut royaliste à ses débuts et déiste toujours, est-ce une raison pour discuter ici sa conception de l’amour d’après Raphaël, qui date de beaucoup plus tard, et qui appartient proprement à la période formant le cinquième volume de M. Brandes ? Et quant à Victor Hugo, quelle importance peut avoir son royalisme éphémère de la vingtième année, en comparaison de toutes les promesses de renouveau littéraire que nous offrent déjà ses premières poésies, ce qui aurait dû obliger à les classer tout de suite aussi dans le volume sur l’école romantique ?

M. Brandes a dit quelque part : « J’aime à montrer le principe enveloppé dans l’anecdote. » Les anecdotes sont en effet assez nombreuses au cours de ses six volumes. Dans celui-ci, ce sont les souvenirs d’une jolie fille qui aurait été, vers les vingt ans, l’amie de Chateaubriand déjà parvenu à la soixantaine, et qui aurait quelquefois bu du vin de Champagne et chanté des couplets de Béranger dans une petite chambre isolée où Chateaubriand lui donnait des rendez-vous. Ce sont aussi les aventures de Mme  de Krüdener, dont l’existence aurait été assez accidentée jusqu’au moment où elle se voua au piétisme. Ce sont encore des réflexions sans fin sur les véritables relations qu’il put y avoir entre Lamartine et la femme qui fut Elvire et Julie. Et ce qu’il y a de curieux à faire observer, c’est que M. Brandes ne reproche nullement à Mme  de Krüdener d’avoir eu des amans, mais seulement, ayant eu des amans, d’avoir osé écrire plus tard un roman idéaliste. De même, ce qu’il reproche à Chateaubriand, ce n’est pas d’avoir eu, dans un âge déjà avancé, une petite amie ; il l’en félicite plutôt, mais il ne peut lui pardonner d’avoir précédemment chanté l’amour idéaliste dans ses poèmes. Pour Lamartine, il fait de même ; il lui concède Mme  Charles, mais il n’a pas assez de sarcasmes contre Elvire et Julie.