Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Environ une heure avant minuit, la pluie tombait encore ; le Tibre, déjà gonflé par les orages de l’automne, montait avec une rapidité inquiétante. Le quartier du Champ de Mars et les vallées creusées sous l’Esquilin et le Quirinal n’étaient plus qu’un marécage. Les Romains, troublés par tous ces signes de mauvais augure, renoncèrent à la messe pontificale et soufflèrent leurs lampes. Les grondemens du tonnerre s’éloignaient peu à peu. Les cloches de toute la ville sonnèrent à grandes volées, mais pas un fidèle n’y répondit. Les bonnes gens pensaient que, par un temps si fâcheux, le bœuf et l’âne tout seuls suffiraient pour réchauffer l’enfant Jésus sur la paille de sa crèche.

Cependant, aux alentours de Sainte-Marie-Majeure, on eût pu voir d’étranges pèlerins braver les froides rafales de la pluie et du vent. Toutes sortes d’ombres allaient et venaient, très silencieuses, en avant des portes, en dehors du cercle de lumière tracé autour de la basilique par l’illumination du sanctuaire et des nefs. Ces personnages n’avaient point l’air de bons chrétiens ; ils ne portaient ni psautiers ni rosaires, mais des couteaux et des piques. Plus loin encore, vers Sainte-Praxède, un groupe plus compact, muni de torches non allumées, gardait quelques chevaux tout sellés, qui s’agitaient avec terreur chaque fois qu’un éclair fendait les ténèbres. Tous ces hommes fixaient les yeux avec impatience du côté du Latran, dont la masse sombre leur semblait aussi résolument endormie que le reste de la ville.

Un coup de sifflet se fît entendre, et les ombres se dérobèrent et disparurent à l’entrée de l’avenue plantée de grands arbres qui menait au monastère de Sainte-Balbine.

Là-bas, sur le plateau du Cœlius, un petit cortège s’engageait, à la lueur tremblante de quelques lanternes, sur le chemin solitaire de Sainte-Marie-Majeure. Il descendit la pente de la colline avec lenteur, se détournant à chaque pas, afin d’éviter les fondrières ; au bout d’un temps assez long, il parvint à la place de la basilique. En tête, s’avançaient deux hommes d’armes avec des hallebardes, puis un moine élevant la haute croix pontificale à trois branches, quelques clercs qui tenaient les lanternes, deux cardinaux assis sur leurs mules, la tête chaudement protégée par le chaperon de fourrure, enfin, une litière couverte, drapée de pourpre, où était assis un petit vieillard de figure très austère, enveloppé d’un manteau rouge, une croix d’or sur la poitrine. La grande porte de l’église s’ouvrit ; une clarté plus vive fut projetée sur le cortège, les cardinaux mirent pied à terre et Grégoire VII pénétra dans la basilique illuminée et vide.

Le rayon d’or de l’étoile que virent les bergers et les mages