Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’à Jésus, tout prêt à prostituer à l’empereur la dignité de l’Église romaine, ou bien quelque adolescent impur, un fils de seigneur, toujours souillé par le péché mortel, qui répandrait en d’abominables orgies le vin de l’autel. Et parfois, il se disait que le naufrage de la barque apostolique était consommé, que l’histoire de la rédemption était finie, que Dieu se détournait des hommes et repoussait son Église loin de son cœur et qu’il était, lui, le dernier moine et le dernier pape.

Alors, dans le silence et les ténèbres, il se frappa la poitrine et pleura.

Une lueur grisâtre, jour d’hiver sans aurore ni sourire, se glissa dans la cellule. Et Grégoire se sentit plus misérable encore quand il reconnut l’outrage fait à ses vêtemens pontificaux, l’aube couverte de boue, la chasuble lacérée, le pallium flétri. Et il songea avec amertume à la fête de la nuit, à la basilique pleine de chants où il bénissait les enfans et les pâtres, au mystère profané, au sang de Dieu délaissé sur la nappe blanche de l’autel.

Un pas lourd se fit entendre au dehors. La porte s’ouvrit et le baron reparut.

— Tu as dormi ? interrogea Cencius.

— J’ai prié, répondit Grégoire.

— Patenôtres de moine, qui n’ont point percé les voûtes de ma tour. Dieu ne t’a pas entendu. Et puis, Dieu n’aime que les papes jeunes et d’humeur joyeuse. Tu vois bien qu’il t’abandonne.

— Dieu avait bien abandonné son propre fils crucifié entre deux voleurs. Mais pour trois jours seulement. J’attendrai.

— Tu attendras des jours, et des semaines, et des années, s’il le faut. Tu es dans ma main comme un jouet fragile. Et tu endureras la solitude, la faim, la nuit, toutes les terreurs, toutes les angoisses, tant que tu n’auras pas consenti à ma volonté.

— Que veux-tu de moi ? Je suis l’évêque et le seigneur de toutes les âmes, et tu ne peux rien sur ma conscience.

— Je puis te torturer jusqu’à la mort.

— Ce serait l’expiation de mes péchés. En ce moment, l’Église a besoin, pour se laver de ses souillures, du sang d’un martyr.

Cencius haussa les épaules. Il se souvint alors des paroles de Déodat.

— Un tyran chassé de son palais et livré aux risées de son peuple, un évêque chassé de son diocèse, un clerc condamné à languir dans le cachot d’un couvent, n’est point un martyr. Mais d’abord tu abdiqueras solennellement entre les mains des nobles que tu as dégradés et dépossédés. Tu leur rendras le droit d’élire le pape, qui est leur comte suzerain, avec l’agrément de l’empereur