Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourpre, très haute et comme baignée d’une lumière d’or pâle, dans le déclin vermeil de ce soleil si doux qui descendait déjà derrière le Janicule. L’antique porte de Saint-Laurent, flanquée de ses deux tours crénelées et ombragées de grêles cyprès, les grands remparts de Rome, avec leur parure de lierres et au-delà, très loin, les montagnes d’azur, dressées sous le ciel limpide, achevaient un tableau d’une grâce candide, pareil aux scènes mystiques de chevalerie ou de croisade, coloriées sur le vélin des vieux missels.

C’était, en vérité, une exquise petite princesse de conte de fée, cette enfant de onze ans, toute frêle et toute blanche, que la sainte Église accueillait d’une façon si pompeuse au seuil de la ville apostolique. Elle avait les traits délicats et précis à la fois de la race d’Étrurie, berceau de sa famille, le col long et souple, le profil fin, légèrement aigu, d’admirables yeux noirs, un ovale allongé, sous une arcade peu profonde, et, ondoyant à flots sur les épaules et la poitrine, une riche chevelure blonde. De longs cils ombrageaient le regard d’une ombre légère de rêverie, et, sur les lèvres caressantes et faciles au sourire, se jouait une gaîté malicieuse. Le teint, d’une pureté de lis, était animé par l’air vif du voyage. Pia portait, par-dessus sa robe flottante de laine blanche, une courte dalmatique d’hermine, aux manches larges, nouée à la taille par une torsade d’or. Un reliquaire d’or, de ciselure florentine, en forme de médaillon, pendait de son cou jusqu’à la ceinture. Le béret de velours noir, dérangé par les secousses de la mule, s’inclinait tout d’un côté de la tête, prêt à tomber. L’enfant tenait en sa main droite un gros bouquet de cette herbe odorante de Toscane, dont l’arôme se marie si bien au parfum des fleurs de Florence.

Comme elle promenait les yeux, avec une vivacité inquiète d’oiseau, vers le paysage lointain de Rome, vers Sainte-Marie-Majeure ou Saint-Jean-de-Latran, que le soleil couchant couronnait d’une auréole rosée, une voix grave, la voix du révérendissime cardinal, fixa son attention. Elle regarda l’ambassadeur de son grand-oncle qui lui parut très magnifique dans sa simarre de soie rouge, coiffé d’une barrette cramoisie, puis, la mule du noble personnage, empanachée de plumes rouges agitées par la brise du soir. Le cardinal entamait une harangue, non point en langue vulgaire, trop barbare encore et trop pauvre pour saluer la nièce d’un pape, mais en latin massif et dur, le latin des décrétales et des encycliques. Pia n’entendait rien à la harangue, mais s’intéressait de toute sa naïveté d’âme aux gestes amples de l’orateur, à la mélopée pompeuse de sa déclamation, au chant religieux des paroles latines. Elle se crut un instant comme à l’église et fit gentiment le