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principes et de conséquences, la femme s’attachera plutôt aux résultats directs et immédiats qu’aux conséquences indirectes et lointaines.

Une fois liées dans le souvenir, les images et idées sont ordinairement durables chez la femme. Sa réceptivité et sa tendance à l’assimilation rendent sa mémoire ordinairement moins oublieuse que celle de l’homme, surtout pour les faits, qu’elle a par cela même plaisir à raconter. Pour des raisons analogues, elle a plus de docilité à apprendre, comme aussi plus de facilité à croire ceux qui ont obtenu sa confiance.

L’imagination de la femme est plus exaltée que celle de l’homme. Moindre est la quantité de force dépensée au dehors, plus grande est la production intérieure des images. Sensible et imaginative, il est inévitable que la femme se laisse d’ordinaire guider par ses sentimens plutôt que par des idées abstraites et générales. « La femme, dit Daniel Stern, arrive à l’idée par la voie de la passion. » Au reste, l’esprit mobile de la femme ne peut guère soutenir un raisonnement à perte de vue et ne se laisse pas facilement convaincre par les longs raisonnemens d’autrui. Chez elle l’emportent ces raisons du cœur que la raison ne connaît pas. Mme de Sévigné avouait que « les raisonnemens abstraits lui étaient contraires. » Elle ne voulait point « philosopher » et se bornait « à rêver bonnement, comme on faisait du temps que le cœur était à gauche. »

Une intelligence hardie et entreprenante se propose-t-elle un but difficile et plus ou moins élevé, elle ira droit à ce but sans faire attention au reste ; dédaigneuse ou impatiente des menus détails, elle fermera volontiers les yeux devant tout ce qui contrarie son dessein et ne s’embarrassera guère des objections. De là un esprit plus systématique. Or, avoir un système, même inexact et incomplet, c’est toujours une force. La science doit ses progrès à la hardiesse des théories autant qu’à la puissance et à la durée des observations. Le danger est de ne rien voir en dehors de son système. Chez la femme, au contraire, l’esprit de finesse domine plus que l’esprit de géométrie. Cette logique à outrance dont parle le démon de Dante, cette logique diabolique qui pousse les conséquences jusqu’à l’absurde même, n’est point son fait. Si l’homme voit plus loin et plus haut, la femme, quand ses passions ne sont pas en jeu, voit souvent plus juste. Il y a certaines nuances de vérités qui sont comme les modulations enharmoniques, où il suffit de hausser ou de baisser imperceptiblement la note pour passer d’un ton à un autre ton très éloigné : la femme est particulièrement apte à saisir ces nuances. Antipathique aux utopies et aux chimères, elle ne perd pas de vue le côté positif et pratique des choses. Modératrice et