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elle-même une nouveauté et un progrès. Ce n’est pas que, par une instruction convenable, la femme ne devienne capable de comprendre les sciences[1], et même d’inventer. M. Gustave Le Bon demande qu’on lui cite une seule femme qui ait réussi dans les sciences exigeant du raisonnement. Nous lui citerons Sophie Germain et Marie Gaetana Agnesi, célèbre au XVIIIe siècle par ses travaux mathématiques, — pour ne pas remonter aux temps des Diotime, Pamphila, Leontia, Pantaclea, Argia, Nicarette, Melissa, Hypatie, etc., ni aux Italiennes comme la philosophe Bassi, Isabelle Sforza, Claire Mastrami, ni aux femmes jurisconsultes de Bologne, Dotta, Bettina Buonsignori, et cette Novella d’Andréa, si belle que, au dire de Christine de Pisan, « elle devait, en donnant son cours, se voiler la face, afin que sa beauté ne détournât point l’attention, » Beaucoup de femmes se sont aussi distinguées dans l’astronomie, dans la physique, dans la médecine. À l’heure présente, c’est une femme de mérite, la doctoresse Catani, qui occupe à Bologne la chaire d’histologie. Nous reconnaissons d’ailleurs qu’on ne doit pas raisonner sur des exceptions. Chaque sexe est capable, sous des stimulans particuliers, de manifester des facultés ordinairement réservées à l’autre sexe. Spencer, mieux inspiré sur ce point, donne pour exemple un cas extrême, mais instructif : une excitation spéciale peut faire sécréter du lait aux mamelles des hommes et, pendant des famines, on a vu des petits enfans sauvés de cette façon. Mettra-t-on cependant cette faculté de donner du lait, qui doit, quand elle apparaît, s’exercer aux dépens de la force virile, parmi les attributs du sexe masculin ? De même l’intelligence féminine, sous l’influence d’une discipline spéciale, peut donner des produits très supérieurs à ceux que donne l’intelligence de la plupart des hommes. À côté des œuvres de George Eliot, de George Sand, de Mme de Staël ou de Mme de Sévigné, il conviendrait de citer les poèmes d’Elisabeth Browning. Mais la vigueur mentale normalement féminine est celle qui peut coexister, chez la moyenne, « avec la production et l’allaitement du nombre voulu d’enfans bien portans. » Une force et une dépense d’intelligence qui, si elles étaient générales parmi les femmes d’une société, amèneraient la disparition de cette société même, doivent être considérées comme une atteinte aux fonctions

  1. A Londres, dans son rapport de 1893, le vice-chancelier constate qu’un très grand nombre de femmes viennent de passer de brillans examens à l’Université de Londres. Sur 452 étudians qui se sont tirés à leur honneur de l’épreuve des examens, il y avait 104 jeunes filles. Les étudiantes ont remporté les premiers prix dans six des matières sur lesquelles elles ont été examinées : la science morale, la physiologie, le français, l’anglais, l’allemand et la botanique ; les étudians ont également été les premiers sur six matières : les classiques, les mathématiques, la chimie, la physique expérimentale, la géographie et le droit.