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plus rudes assauts. On assure que de pauvres diables vivent de leur écharpe, ici et là. Les inspecteurs des colonies en savent long à cet égard. Mais qu’y peut-on ? On s’est peut-être un peu hâté de faire jouir toutes les communes de l’organisation municipale de la métropole, et l’apprentissage des plus petites est bien un peu onéreux pour les habitans… Il serait difficile de revenir là-dessus et de s’arrêter à des demi-mesures dont les avantages ne compenseraient sans doute pas les inconvéniens, mainmise de l’administration sur la commune, mécontentement de tous les partis, etc.

Un trait de mœurs ne saurait être oublié, c’est la part que les femmes prennent aux élections. Une tournée à la place (le marché) vaut mieux ici qu’une réunion publique. Il faut avoir les femmes pour soi. Ce sont elles, les brunes filles, énergiques et fières, et passionnées, qui donnent la popularité et qui la reprennent ; ce sont elles qui composent et qui chantent ces couplets créoles au rythme étrange et berceur, élogieux ou satiriques, improvisés au jour le jour, à propos de tout et de tous ; ce sont elles que l’on voit, le lendemain de la bataille électorale, manifester en une troupe gaie, drapeau en tête, parées de leurs robes flottantes aux couleurs les plus vives et coiffées de leurs plus beaux madras où domine le jaune d’or qui leur sied si bien.

Une grosse question, et que l’on ne résoudra pas aisément, est celle du service militaire aux Antilles. Les députés et les sénateurs des colonies ont demandé que la loi de 1889 fût appliquée à leurs commettans, et ils l’ont obtenu, mais jusqu’ici la loi n’a pas été appliquée. Pour qu’il en fût autrement, il aurait fallu que le principe du recrutement régional prévalût. Quel gouvernement prendra sur lui de disséminer dans les corps d’armée des jeunes gens dont la moitié ne supporterait pas les rigueurs de nos hivers ajoutées aux corvées de la caserne ? Puis, combien de soutiens de famille en ces pays, où bien peu de femmes ont un mari ! Le recrutement total se heurtera à beaucoup de difficultés de tous les genres, et les résultats qu’il pourra donner ne compenseront pas la perturbation qu’il apportera dans le travail agricole ; c’est à craindre. Nos Antilles nous ont donné de bons soldats, des officiers et des généraux ; elles nous en donnent tous les jours par la voie des engagemens volontaires et des grandes écoles. Leur patriotisme n’a pas besoin de la loi de 1889.

Comme le conscrit de nos villages, l’engagé volontaire, aux Antilles, chante ses déboires à la caserne : « Le premier jour, quand il est arrivé au régiment, c’était une fête. Il dit : « Quel beau métier ! » Mais, le lendemain, on lui donne une giberne, un fusil, un shako, une plaque, un sabre pour les astiquer. Tout cela, c’était