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effort vigoureux pour rebâtir, la vue est attristée par des rues entières de murs noircis, avec, çà et là, aux fenêtres béantes, des fragmens de balcons de style Louis XVI dont le fer arraché et tordu évoque le poignant souvenir de la cité luttant contre le feu dévastateur. Une végétation touffue, entre les pans de mur écroulés, sert de nourriture aux cabris. Une impression de commisération profonde vous saisit à ce tableau, mais on reprend confiance aussitôt devant l’activité des charpentiers et des maçons. Avant cinq ans, il ne restera plus trace de l’incendie qui, en une journée, consuma presque toute une ville où deux ou trois maisons seulement étaient assurées ! On peut juger de la misère effroyable qui suivit le désastre. Un système de primes à la reconstruction, des prescriptions un peu sévères en ce qui concerne les matériaux employés, vont substituer à l’ancienne ville en bois une ville en fer, en plâtre et en briques, avec une belle église d’architecture moderne.

Les rues sont droites, tirées au cordeau. Un seul édifice, digne de ce nom, les décore à cette heure ; c’est la bibliothèque Schœlcher, une réduction réussie des palais de fer et de faïence de l’Exposition universelle de 1889. L’hôtel du gouvernement, assez spacieux cependant, du dehors semble une cabane. Le palais de justice, tout en bois, avec des ailes inégales, fait pitié. Le conseil-général loge à la direction de l’intérieur, une construction mal établie pour abriter deux ménages qui ne s’entendent pas toujours très bien. Mais la ville est propre, bien balayée ; elle a de l’eau, et, le jour où elle aura reconstruit son hospice logé provisoirement à la prison, elle sera redevenue ce qu’elle était autrefois, avec beaucoup d’embellissemens. Une fraîche brise règne dans toutes les saisons et contribue à faire de Fort-de-France un des séjours les plus agréables des colonies.

Le fort Saint-Louis n’est pas la seule défense de la Martinique. Sans parler de l’Ilet-à-Ramiers, dont les fortifications, de l’autre côté de la rade, sont admirablement placées, le fort Desaix surplombe la ville avec ses batteries puissantes, faisant face au fort Tartenson. Un bataillon d’infanterie de marine, une direction d’artillerie de marine, avec la division navale de l’Atlantique, concourent à protéger la Martinique. Les troupes sont commandées par un lieutenant-colonel. Pendant l’hivernage, elles quittent les casernes et vont chercher au camp Balata, à 10 kilomètres de la ville et à 400 mètres d’altitude, un peu de repos et de fraîcheur. Un conseil de défense, présidé par le gouverneur, étudie les mesures à prendre pour mettre l’île en état de résister à toutes les attaques avec autant de succès qu’autrefois, avec autant de gloire.