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disparaîtraient aussi l’attachement aux coutumes nationales, la confiance imperturbable dans la supériorité de tout ce qui est anglais, et cet heureux optimisme que les peuplades africaines elles-mêmes sont en train de perdre, au premier contact de notre civilisation.

Voilà ce que sentent les Anglais ; et de là vient que, avec plus d’adresse, ils prennent autant de peines au moins que les Russes et les Chinois pour empêcher toute influence étrangère de pénétrer chez eux. Voyez leurs écoles, leur système électoral, leur parlement, leurs tribunaux. Ils connaissent à merveille les innovations introduites dans les usages des autres pays : ils se rendent compte très clairement de ce qu’elles peuvent offrir d’avantages ; mais ils se défendent, et longtemps encore ils se défendront, d’introduire en Angleterre ces coutumes nouvelles. Ils comprennent que le moindre changement serait une concession à l’esprit étranger, que cette concession serait bientôt suivie d’autres, et qu’ils finiraient, comme nous avons tous fini sur le continent, par devenir uniformément des Européens.

Ainsi ils résistent : mais le courant du cosmopolitisme grandit de jour en jour, et je crains que, malgré tous leurs efforts, à leur tour ils n’en soient débordés. Depuis quelque temps déjà, ceux qui connaissent de près l’Angleterre y remarquent des symptômes fâcheux, un certain relâchement dans le respect des vieux usages, une inquiétude vague, des traces de méfiance et d’hésitation. Rien n’est changé encore, mais on a l’impression qu’un changement se prépare. Les unionistes reprochent volontiers à M. Gladstone d’avoir, par son projet de home-rule, désorganisé les mœurs anglaises et affaibli le sentiment national : peut-être ne se trompent-ils pas tout à fait. Toucher aujourd’hui à une seule des institutions anglaises, c’est compromettre du même coup la solidité de toutes les autres. Un âge vient, dans la vie des nations comme dans celle des individus, où la moindre secousse met en danger l’organisme entier.

Mais je n’ai point qualité pour prendre la chose de si haut. Je voulais seulement expliquer les motifs de la surprise que j’ai ressentie en découvrant, dans les revues anglaises de ces temps derniers, plusieurs de ces symptômes inattendus de doute de soi et de découragement. À côté de nombreux articles sur les affaires de Siam, tous animés encore de l’ancien esprit optimiste et chauvin, j’ai été frappé de lire des études d’un esprit très différent, inquiètes, mélancoliques, quelques-unes même franchement pessimistes, présentant sous le jour le plus sombre l’avenir de la race et de la société anglaises.

Je ne crois pas qu’on ait encore parlé chez nous, jusqu’à présent, d’un livre publié à Londres, il y a quatre ou cinq mois, par M. Charles H. Pearson, Vie nationale et Caractère national. C’est cependant un livre fort curieux : d’autant plus curieux que l’auteur est un