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avec méthode, et le système actuel leur en fournit les moyens s’ils savent s’en servir. Je ne sais plus quel homme d’État disait ce mot, d’aspect paradoxal et pourtant très fin, que les « constitutions ne valent qu’autant qu’elles sont mal faites ; » il entendait par là que, plus est grande l’élasticité d’un texte succinct, plus rudimentaires semblent les forces motrices de la machine gouvernementale, plus elle acquiert, si l’on peut dire, de plasticité, mieux elle se prête aux différens usages que l’on en veut faire. Rien n’empêche, par exemple, sans changer un mot à notre constitution de 1875, de restaurer le principe d’autorité dont on est à peu près d’accord pour déplorer l’énervement. Il suffit que la majorité parlementaire délègue à son tour, à un cabinet sorti d’elle-même, en qui elle s’incarnera, le pouvoir qu’elle a reçu du corps électoral ; il suffit que les ministres soient les chefs, et non plus les serviteurs, de la majorité, comme ils l’ont été trop souvent jusqu’à ce jour.

Le gouvernement quasi-direct par une assemblée nombreuse, qui ne se gouverne pas elle-même, conduit naturellement à une sorte d’anarchie ; avec un semblable procédé il n’est pas étonnant que l’on aboutisse à peu de chose ; c’est plutôt merveille que l’on ait réalisé quelques progrès. Et ces progrès même ont tenu à ce que, durant de très courtes périodes, certains chefs de cabinet ont pu exercer, grâce à leur ascendant personnel, une direction efficace. Cette direction doit être permanente et entière. En Angleterre, les premiers ministres interviennent perpétuellement, de par la coutume et d’une façon presque souveraine, dans le règlement de l’ordre du jour ; ils guident les travaux parlementaires. Il est nécessaire que la chambre française se plie à quelque chose d’analogue. Le cabinet, placé entre les deux fractions du parlement, et suivant simultanément les délibérations de l’une et de l’autre, est mieux en mesure que qui que ce soit pour faire converger leurs efforts vers la réalisation du but qu’il se propose.

Combien de fois n’avons-nous pas vues demeurer en route, entre la chambre et le sénat, uniquement pour ce motif que la première, en les votant, ne s’était aucunement préoccupée du sort qui leur était réservé dans l’autre ! Par de légères modifications à son règlement intérieur, la chambre doit restreindre l’initiative parlementaire. À quoi bon consacrer de longues séances à discuter des projets que l’on sait d’avance n’avoir aucune chance de réussir ? En matière financière, cette restriction s’impose d’une façon absolue. Tout le monde est unanime pour réclamer la diminution des dépenses, la constitution d’un sérieux fonds d’amortissement de la dette publique, mais on ne voit nulle part de propositions pratiques et précises : « Tous ceux qui se préoccupent de l’équilibre budgétaire de la France, disait dernièrement avec beaucoup d’à-propos M. Waddington, ont été frappés du danger perpétuel que présente, pour cet équilibre, l’abus de l’initiative indi-