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qui ne paraît plus aussi à la mode, depuis quelques lustres, n’est pas pour cela chose moins équitable ni moins libérale qu’elle n’était dans les dernières années du régime déchu, où l’on s’en préoccupait fort.

Elle permettrait de satisfaire en quelque mesure ce droit des minorités, qui est aussi respectable dans une république que le droit des peuples, pris en bloc, dans une monarchie. C’est sur le terrain municipal que l’on pourrait faire à cet égard d’utiles expériences ; un jeune publiciste de talent, M. R. Monnier de La Sizeranne, vient de faire une étude piquante et approfondie sur la question du referendum communal, dont il préconise les résultats. Peut-être le moment n’est-il pas propice pour recommander ce mode de consultation populaire ; le referendum, que seul M. Goblet a inscrit sur son programme en matière politique, est en passe de se discréditer dans l’opinion : les Suisses qui viennent de l’appliquer avec solennité, sur tout le territoire helvétique, pour savoir de quelle manière on devrait tuer les bœufs, et les habitans de Neuilly-sur-Seine qui, consultés par le maire sur la prolongation de la fête annuelle, n’ont pas su ou voulu se décider pour ou contre, font médiocrement augurer de l’efficacité de ce système, à ceux mêmes qui le jugeaient favorable au libre jeu du self-government.

Mais qu’on s’y prenne de façon ou d’autre, c’est un devoir pour les élus du pays, tout en résignant entre les mains de ministres responsables une partie de leurs prérogatives, dont ils ne peuvent user eux-mêmes faute d’une connaissance suffisante de l’ensemble des charges budgétaires, d’abandonner aux représentations locales une autre partie de leur tâche, qui sera d’autant mieux exécutée, qu’elle sera plus morcelée, et que les dépenses nouvelles seront plus rapprochées des impôts nouveaux destinés à y pourvoir.

Les progrès purement politiques paraissent toutefois passionner beaucoup moins les masses contemporaines que les progrès sociaux, et c’est logique. Les premiers sont d’ordre moral, les seconds d’ordre matériel. À mesure que les peuples prennent conscience de leur force, et même s’en exagèrent la puissance, l’idée leur vient naturellement d’employer cette force à la satisfaction de leurs besoins ; aussi la mission des gouvernemens auxquels la démocratie confie l’usage de son autorité semble-t-elle s’élargir chaque jour. Les gouvernemens de jadis se tourmentaient pour reculer leurs frontières ; le diplomate profitait de la paix pour préparer de bonnes guerres et de la guerre pour se procurer de bonnes paix ; chacun songeait à étendre son domaine au détriment de celui du voisin, et jamais la force ne pourra davantage primer le droit dans l’avenir qu’elle ne l’a fait aux siècles passés. À l’intérieur, le mérite des souverains était de ne pas accabler leurs sujets d’impôts et de laisser la justice établie suivre son cours, du moins entre personnes privées. Quant aux sujets, au peuple des villes ou des champs, on ne le voit pas vivre dans l’histoire. Est-il heureux ? Est-il à plaindre ?