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de vos coffres ! Si cette somme était employée au soulagement de vos peuples, n’aurait-il pas de quoi bénir vos royales vertus ? »

Cette harangue mécontenta vivement la noblesse. Elle n’avait pas un orateur qui fût de taille à répondre. Elle prit le parti de se plaindre, de se considérer comme insultée et de demander réparations. Il y en eut qui dirent qu’il fallait abandonner Savaron aux pages et aux laquais. Dès le début des États, on pouvait craindre les excès et les violences qui marquèrent leur fin. C’est alors que le clergé, suivant sa tactique habituelle, s’entremit. On recourut de nouveau à l’évêque de Luçon, et il fut mis à la tête de la délégation qui alla haranguer le tiers pour l’amener à accorder à la noblesse les réparations qu’elle réclamait.

Il vint donc, accompagné de plusieurs autres ecclésiastiques, dans la chambre du tiers. Il parla courtement, nettement selon sa manière ordinaire et posa très habilement les bases de l’accord en demandant tout simplement au tiers de faire entendre à la noblesse, ou par la bouche même de Savaron ou par autre, que ce qui avait été dit était à bonne intention et non pour offenser personne.

Savaron répondit, et ce dut être un curieux spectacle que de voir le dernier et robuste défenseur des libertés populaires en face de l’élégant et froid prélat qui devait leur donner le coup de grâce. Savaron parla bravement. Il dit qu’il n’avait point offensé la noblesse et qu’il ne se croyait tenu à aucune réparation. Il ajouta qu’il avait porté cinq ans les armes, de façon qu’il avait le moyen de répondre à tout le monde en l’une et l’autre profession. Il voulut bien ajouter cependant que, pour contenter le clergé, il était tout disposé à expliquer ses paroles, et il rappela qu’il ne s’était jamais exprimé que dans des termes généraux et sans viser un corps ni un individu.

Richelieu s’empara de ces déclarations. Il revint dans la chambre ecclésiastique, disant que « le particulier duquel messieurs de la noblesse se plaignaient s’était fort étendu et expliqué et que, tous ayant témoigné et protesté n’avoir eu mauvaise intention pour offenser messieurs de la noblesse, le différend devait être accommodé. » La querelle fut arrangée, en effet. Mais, de part et d’autre, les esprits étaient aigris, les cœurs blessés, et si les plaies, en apparence, étaient fermées, le virus restait au fond.


III

Cependant nous arrivons au point culminant des délibérations de cette assemblée, au débat de principes où se heurtèrent les opinions des deux seuls partis d’action représentés dans les États, le parti papiste et espagnol, le parti politique et gallican. La