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elle circulait parmi des étrangers dont elle ne se souciait pas ; soudain, elle voit quelqu’un qui peut s’occuper d’elle, qui va sans doute s’occuper d’elle ; elle est émue ; elle tremble que dans sa démarche, son costume ou sa figure, quelque chose ne prête à la critique. Elle éprouve donc une vive secousse au cœur. En même temps, elle fait effort pour garder un air naturel, pour passer calme et distraite : il faut qu’elle y parvienne. Elle se roidit pour y parvenir. — Mais elle a peur d’être devinée ; elle sent fixée sur elle cette attention qui passe, elle a le sentiment d’être regardée, dévisagée, et voilà pourquoi elle rougit. — Quand nous soupçonnons qu’on parle de nous, même phénomène : émotion à l’idée du jugement qu’on porte sur nous, crainte qu’on ne s’aperçoive de cette émotion, idée qu’on découvre au fond de nous tout ce que nous voulons cacher.

Telle est donc la loi pour tous les cas de timidité. Tous présentent un caractère commun, un seul : quelque chose qui doit rester secret risque d’être aperçu, une émotion que nous comprimons risque d’éclater. Nous avons peur qu’elle n’éclate. Il nous semble qu’on la voit en nous malgré nous.

Reste la rougeur par confusion. Un enfant vient de mentir : il rougit, pourquoi ? C’est que tout d’un coup il a peur qu’on ne flaire son mensonge. Peut-être sait-il qu’on le soupçonne, peut-être notre visage a-t-il exprimé un doute : il tremble que sa pensée secrète ne soit démasquée. — Un bienfaiteur est pris en flagrant délit de bonnes œuvres : il rougit : c’est qu’il voulait cacher ses bonnes œuvres, il tenait, par une pudeur de la charité, à les accomplir secrètement, il voit soudain apparaître une personne connue : il craint qu’elle n’ait tout deviné. Il a le sentiment qu’on découvre ce qu’il tenait à cacher.

Voici un cas de confusion plus curieux : on se croyait seul : on s’aperçoit tout à coup qu’on ne l’était pas, on rougit. Rien ne paraît d’abord ressembler ici aux cas précédens : on n’a rien fait de mauvais ni d’excellent, on n’a honte de rien, on n’a sur la conscience ni une mauvaise action, ni une bonne œuvre. Il semble qu’on n’ait rien à cacher. Pourquoi donc rougir ? — C’est qu’en fait, il y a encore une émotion à cacher. Quand je m’aperçois qu’on me regardait, tout de suite et instinctivement je suis troublé, je suis inquiet. J’ai peur d’avoir tait de ces gestes, eu de ces mines, pris de ces attitudes, qui, naturels si l’on est seul, sont ridicules devant témoins. Peut-être avais-je trop d’abandon dans mes poses, ou trop d’expression sur mon visage ; peut-être ai-je trop laissé ma physionomie se mouvoir suivant le caprice de mes pensées. Peut-être ai-je trop laissé mes sentimens monter jusqu’à la surface de mon être. Sans