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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/647

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Non-seulement elles ont plus à cacher, mais elles se sentent moins que nous capables de cacher. Elles n’ont que très rarement notre volonté, notre empire sur nous-mêmes. Elles sont sensibles et impressionnables, souvent jusqu’à en être littéralement impulsives. Par suite, elles craignent doublement pour tout ce qu’il y a en elles d’intime, de secret, de délicat, de vierge. Elles ont doublement peur de se trahir, elles redoutent doublement l’inquisition des regards et de l’esprit. Et voilà pourquoi elles rougissent beaucoup plus que nous.

De même les adolescens rougissent plus facilement que les adultes : c’est qu’ils ont, comme les femmes, plus à cacher. Le tout jeune homme, en effet, précisément parce qu’il n’est pas encore formé, recèle beaucoup de sentimens vagues et inavoués ; il est hanté par des désirs confus ou précis, dont il a plus ou moins honte ; il couve des ambitions bizarres, qu’il lui en coûterait de dévoiler, parce qu’elles sont disproportionnées ou parce qu’elles sont ridicules ; il a des prétentions qu’il ne voudrait à aucun prix déclarer : l’un est content de son esprit, l’autre de sa figure ; l’un se flatte d’être artiste, l’autre d’être écrivain : heureux encore ceux qui ne placent pas leur amour-propre ailleurs. Rien de varié et d’étrange comme les aspirations et les vanités de l’adolescent. Il y a là tout un monde de sentimens obscurs, souvent profonds et durables, que trop peu d’écrivains ont essayé d’explorer. Mais ces désirs, ces prétentions, ces ambitions, l’adolescent ne veut pas qu’on les devine, et souvent il a peur qu’on ne les devine ; une parole qu’on lui adresse par hasard l’inquiète : l’aurait-on pénétré ? — Il se surprend parlant avec trop de chaleur du sujet habituel de ses rêveries intimes : n’a-t-on pas deviné sa passion ? — Il est ainsi très souvent sur le qui-vive, il a souvent à craindre pour les secrets qu’il renferme en lui. Bref, l’adolescent cherche presque toujours à paraître un peu autre qu’il n’est : de là une peur constante qu’on ne voie au fond de lui. De là rougeur fréquente.

C’est pour la même raison qu’on rougit surtout en public : en effet, plus il y a de témoins, plus il y a lieu de craindre qu’on ne lise en nous. Plus il y a d’attentions attachées sur nous, moins nous avons de chances de les dépister. C’est le sentiment de ce danger plus grand qui nous fait rougir davantage.

Au contraire, les personnes qui auront le moins à cacher, ou qui auront le moins l’idée de cacher, ou qui ne craindront pas qu’on arrive à les pénétrer, seront celles qui rougiront le moins. Les vieillards, par exemple, rougissent peu. Le fait a été souvent remarqué ; je l’explique par deux raisons. D’abord ils ont peu à