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avec un des seigneurs qui l’accompagnaient ; mais son rire fut si fort, si gros, qu’en vérité, c’était le rire d’un fermier en goguette plus que celui d’un monarque. Ensuite son costume de chasse me parut mesquin ; bref, je ne fus étonné que de la légèreté avec laquelle ce roi si replet sauta à cheval, et de la rapidité avec laquelle il partit. La reine, que je vis revenir de la messe, avait plus de noblesse dans les manières, dans la marche, et de dignité dans le regard surtout ; mais une robe de percale blanche, tout unie et fort loin d’être fraîche, n’était pas le vêtement dans lequel une reine de France devait, à cette époque surtout, se montrer pour ainsi dire en public. Telle était pourtant la mise de Marie-Antoinette, et c’était au point que, si elle n’avait marché la première, on l’eût prise pour la suivante des dames qui la suivaient. Mais ce qui fit plus que me choquer, ce qui me scandalisa, me révolta même, ce furent les propos que des pages, des gardes du corps et quelques jeunes seigneurs tenaient tout haut dans les grands appartemens ! L’indécence à cet égard allait jusqu’aux outrages ! Recommandé à deux de ces messieurs, qui s’étaient chargés de me faire tout voir et avec lesquels je passai ma journée, personne ne se gêna devant moi, et ce que j’entendis en fait d’anecdotes, de propos sur la robe chiffonnée de la reine, de jugemens, passe tout ce que je pourrais dire. J’en instruisis mon père en revenant le soir avec lui à Paris ; il me recommanda le silence, que je gardai d’abord par prudence, ensuite par respect pour de trop grandes infortunes, et qu’aujourd’hui même, je ne me permettrai pas de rompre.

Autant j’admirai les grands appartemens, autant les appartemens d’habitation du roi et de la reine me parurent incommodes et mal situés. Je ne parlerai pas du lit du roi, lit de huit pieds carrés, tout en sommiers de crin, dur comme du bois et que certes je n’aurais pas troqué pour le mien ; mais j’observerai qu’il n’est certainement personne, roi, seigneur ou bourgeois, qui, habitant un château donnant sur un parc, se condamne à n’avoir vue que sur des cours ; Versailles offre cette bizarrerie, à laquelle il faut ajouter encore qu’il ne s’y trouve aucune pièce d’intérieur qui, des appartemens du roi et de la reine, donne directement sur le parc ; de ses croisées, la reine n’avait de vue que sur l’Orangerie et la pièce d’eau des Suisses.

Versailles était donc pour la famille royale un séjour de magnificence et d’orgueil plus qu’une résidence agréable ; de même que, destiné à attester la puissance de Louis XIV, il n’a attesté que l’impuissance dans laquelle fut ce roi d’empêcher que les dépenses extravagantes auxquelles ses constructions l’ont entraîné ne préparassent la Révolution.


La Révolution ! c’était dès lors la préoccupation, l’on pourrait