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borna à me rendre à Passy par Chaillot, à éclairer les avenues de cette partie de Paris et à revenir par la barrière de l’Etoile.

Au moment où je partais, on me remit une lettre de Mirabeau pour une dame logée à Chaillot, mais avec de telles recommandations que j’étais convaincu qu’il s’agissait d’affaires d’État, et d’autant plus convaincu que, en de si graves circonstances, il me semblait impossible que Mirabeau s’occupât d’autre chose ; d’autant plus encore que cette lettre, qu’un exprès venait d’apporter de Versailles, était contresignée et portait sur l’enveloppe l’ordre d’en prendre un reçu. Arrivé à la maison indiquée par l’adresse, j’arrêtai ma troupe et je chargeai Clappier de Lisle de la remettre en mains propres et de m’en rapporter le reçu demandé. Deux minutes m’avaient paru suffire pour tout cela ; or six minutes s’étaient écoulées, l’impatience me prit, j’entrai pour connaître la cause d’un tel retard, et je trouvai mon de Lisle à table avec quelques hommes et des femmes charmantes, dans une hilarité que par son esprit et sa gaîté naturelle il était fort capable d’exciter ou d’entretenir, mais que je n’étais nullement disposé à partager. Je trouvais même indécent d’avoir été chargé d’une telle commission pour la maîtresse ou l’une des maîtresses de M. de Mirabeau, quelque jolie qu’elle fût ; je dispensai la belle du reçu demandé, je refusai le verre de vin d’Espagne qu’elle m’offrit avec beaucoup de grâce, je fis assez sèchement rejoindre son poste à mon lieutenant, et, me bornant à être froidement poli, je quittai cette joyeuse compagnie et continuai ma reconnaissance.

Le 16 au soir, je commandai de la même manière mon troisième et dernier détachement ; il n’y eut de changé à mon itinéraire que la circonstance de commencer par la barrière de l’Étoile et de revenir par Passy et le quai.

Arrivés à la barrière des Bonshommes, nous vîmes s’avancer par la route de Versailles des hommes à cheval, dont plusieurs portaient des flambeaux. Il ne s’agissait donc pas de surprise ou même d’attaque, à moins que ces flambeaux ne fussent une ruse de guerre ou qu’ils ne fussent destinés à éclairer un combat de nuit. Toujours est-il que j’établis de forts postes avancés, et que le reste de ma troupe fut placé en colonne, en arrière de la barrière à gauche ; j’avais réservé la droite aux cent cinquante hommes, à la garde desquels cette barrière était confiée, et qui reçurent et exécutèrent mes ordres, parce que dans un semblable hourvari, celui qui prend l’autorité l’exerce.

À mesure que les cavaliers approchèrent, nous reconnûmes qu’ils étaient suivis de voitures. Arrêtées par mes postes, j’allai les reconnaître moi-même. Des quatre personnes qui se trouvaient dans la première de ces deux ou trois voitures, trois mirent pied à terre, et ce furent MM. Bailly, de La Fayette et de Lally-Tollendal. Ce dernier prit