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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/686

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pas. Quelques mots d’étonnement et de remerciaient échangés, je ne sais plus ce qui amena de sa part la question de savoir où j’allais. « Ma foi, lui répondis-je, je n’en sais rien. Je marche pour marcher, ou plutôt pour diminuer l’horreur à laquelle je suis en proie. » Et comme il paraissait rentrer chez lui (petite rue Dauphin) : « Et vous, lui demandai-je, d’où venez-vous ? — Je viens, me répondit-il, du cirque du Palais-Royal, où je me suis enrôlé comme grenadier dans un bataillon qui s’y forme sous le nom de 1er bataillon de la Butte-des-Moulins, et qui part pour l’armée. — Vous avez bien fait, répliquai-je, Paris n’est plus tenable : la patrie est en danger, et je vais contracter le même engagement. » Cinq minutes après, mon engagement était signé.


Il était impossible d’être né dans une école militaire célèbre, d’avoir vécu dans un pays où l’épaulette était le premier honneur, au milieu d’une armée que le monde admirait, sans avoir considéré la carrière des armes comme la plus noble des carrières. Mais s’ensuivait-il que, pour mon compte, je me fusse enthousiasmé pour elle ? Non sans doute. J’étais susceptible de zèle et de dévoûment : j’ai toujours dépassé la ligne de mes devoirs comme simple garde national ; mais ce qui prouve combien j’avais évité de prendre du goût pour la carrière des armes, c’est qu’en 1791, lorsque M. de Narbonne disposa d’une sous-lieutenance en ma faveur, je ne l’acceptai pas, et lorsque, en 1792, je me décidai à marcher à l’ennemi, je ne voulus pas de grade ; je partis comme grenadier et pour une seule campagne ; enfin, je fis la guerre après avoir refusé de servir comme officier de cavalerie !


Enrôlé pour l’armée du Nord dans le bataillon de la Butte-des-Moulins, Thiébault nous fait assister à son apprentissage militaire, à son départ, à ses émotions sur les routes de la Champagne :


Loin de Paris et de ses horreurs, ne pensant plus désormais qu’à l’honneur de nous dévouer pour notre pays, nous reprîmes la gaîté de notre âge. Nous chantions, et souvent l’hymne des Marseillais qu’avec beaucoup de talent Grasset nous avait mis en partition et que, à trente ou quarante voix, nous ne tardâmes pas à exécuter avec un tel ensemble et des modulations si bien rendues que, lorsqu’il terminait nos repas, on se rassemblait sous nos fenêtres pour nous entendre.

Ce n’est pas pourtant le seul hommage que nous recevions dans les villes situées sur notre passage. Nous défilions presque toujours aux applaudissemens de la population entière. Cette masse de jeunes gens dans la plus belle tenue, manœuvrant comme une troupe d’élite, se dévouant pour le salut de tous, pour le salut notamment des provinces