Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autant que possible, les capitalistes de conserver leurs capitaux, c’est-à-dire qu’ils chercheront à les leur prendre. Nous connaissons quelques-uns des moyens préconisés : suppression graduelle du droit successoral, impôt de plus en plus progressif sur le revenu, etc. Comme ils ne peuvent rien encore dans le parlement, pour rédiger des lois en ce sens, les chefs socialistes tentent, dans les milieux ouvriers où, par la bonasserie des électeurs, ils sont maîtres, de pratiquer du moins les premiers élémens de leur doctrine : empêcher les capitalistes de faire fructifier les capitaux qu’ils possèdent, en les risquant dans l’industrie.

Cette haine du capital est d’autant plus dangereuse en France que notre force, vis-à-vis de l’Europe, consiste surtout dans notre richesse. Nous n’avons ni un territoire démesuré, ni une population très dense, mais nous sommes un peuple de rentiers laborieux. Je ne dis pas qu’en politique étrangère nous soyons recherchés pour notre argent ; mais enfin notre fortune nous permet de rendre service à nos amis, ce qui est un plaisir pour eux et pour nous. Cette abondance de capitaux est le plus sûr levier pour l’élévation des salaires, puisque la concurrence des propriétaires d’argent entre eux, leur recherche active et de plus en plus difficile d’emplois avantageux pour leurs fonds, les amène à payer la main-d’œuvre, sous toutes ses formes, de plus en plus cher.

Parmi ces emplois de nos capitaux français, il en est un qui s’offre de lui-même à la pensée, et que l’on s’étonne de ne pas voir plus en faveur chez une nation qui a des titres de rente répandus un peu partout dans l’univers : c’est la fondation de compagnies financières pour l’exploitation de nos colonies, particulièrement en Afrique où l’action des commerçans isolés est presque nulle. Grâce à ses soldats, à ses vaillans explorateurs, dont beaucoup ont laissé leur vie dans le continent africain, notre patrie y possède aujourd’hui un empire immense. L’Afrique, vierge de tout contact civilisé et si mystérieuse encore il y a trente ans, a été le but d’une poussée formidable. Dans l’histoire du monde, bien au-dessus des mesquines querelles des peuples, planera à notre époque le grand problème de la pénétration africaine. Anglais, Allemands, Belges et Italiens ont, à l’envi les uns des autres, marché à l’assaut de cette citadelle de la barbarie. Toutefois, il n’est pas téméraire de dire que, jusqu’à présent, la France, dont la part semblait la moins bonne, quoique la plus grande, a pris la tête du mouvement.

La presse allemande avouait récemment, à propos du Cameroun, que les explorateurs français s’étaient montrés sur ce point supérieurs aux Allemands. Nous avons donc victorieusement prouvé à ceux qui criaient à la dégénérescence du vieux sang gaulois qu’il n’avait rien perdu de sa vigueur, que l’énergie, l’endurance, l’esprit d’abnégation