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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/778

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ministère des affaires étrangères, annotées par le roi d’Angleterre lui-même et renvoyées à notre gouvernement. Après avoir (ait attendre sa réponse le plus longtemps possible, le cardinal Dubois adressa, le 14 octobre 1722, des instructions à notre agent. Il avait conçu la pensée de gagner la Russie sans perdre l’Angleterre et se proposait en conséquence d’abord de faire jouer au roi de France le rôle de médiateur, ensuite de substituer à l’entente séparée entre la France et la Russie un triple accord entre le tsar et les deux puissances occidentales. Il acceptait le principe d’une alliance avec la maison royale et désignait même le duc de Chartres, mais en demandant que son élévation immédiate au trône de Pologne accompagnât l’engagement, puisque c’était « l’un de ces projets que l’événement seul pouvait justifier et dont il était à souhaiter que l’effet précédât l’éclat. » Le tsar, au contraire, voulait « aller vite, » et le faisait dire à Campredon : « Si l’on continue de votre part, ajoutait le prince Dolgorouky, à traîner l’affaire en longueur et à insister sur l’admission de l’Angleterre, il n’y faut plus songer. »

Quand Louis XV, après avoir perdu successivement Dubois et le duc d’Orléans, eut remis au duc de Bourbon « l’administration générale de ses affaires, « la dignité, les intérêts, l’avenir de la France furent entre les mains d’une intrigante, et les pires conseils dirigèrent notre politique extérieure. Il fut répondu, vers le commencement de 1724, aux nouvelles instances du tsar, « que les motifs pour lesquels le roi croyait devoir exiger, avant toute négociation, la réconciliation de la Russie avec l’Angleterre étaient devenus une raison d’État dont on ne pouvait se départir en aucun temps. » Avant toute négociation ! Il s’agissait bien de savoir si nous pouvions encore soustraire la Pologne affaiblie à la domination de ses voisins, et si nous n’eussions pas « infiniment profité, selon l’expression de Saint-Simon, d’une alliance étroite » avec un prince qui faisait si grande figure en Europe ! Il fallait, au préalable, rapprocher l’Angleterre de la Russie. C’était, pour nous, paraît-il, la question fondamentale et la France n’avait pas, dans le monde entier, de plus pressant intérêt ! Tout semblait donc rompu quand l’initiative hardie du marquis de Bonac, notre ambassadeur à Constantinople, contre-balança l’effet des résolutions arrêtées à Versailles. Au moment où les agrandissemens de la Russie sur les bords de la mer Caspienne avaient alarmé la Porte et où la guerre allait être officiellement déclarée, Bonac, contrariant les vues et déjouant les efforts de la Grande-Bretagne, avait offert spontanément la médiation française, arraché des pouvoirs réguliers à son gouvernement, obtenu par Campredon une lettre conciliante du tsar, et fini par