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cette grande passion du peuple, de cette source de tant de drames, la loterie, ferait mieux comprendre, à lui seul, le tempérament napolitain, et renseignerait mieux sur les coutumes locales, que plusieurs séjours dans les beaux hôtels de la Chiaia. J’en dirai autant de Salvatore di Giacomo, dont les Mattinate napoletane ont eu un si légitime succès. Ce sont des histoires courtes, écrites dans le mode triste qui domine là-bas, et par un artiste très affiné : Vulite ò Vasillo ? un enfant malade, dont la mère, une pauvre femme, fait faire le portrait, et qui meurt ; Serafina, une scène d’hôpital, une fille blessée de cinq coups de couteau, et qu’on opère dans une salle du haut, tandis que le père, un vieux, raconte au portier comment elle l’a quitté, un soir, honteusement ; l’Abbandonato, ce petit qui n’a plus que sa grand’mère, et que sa grand’mère mourante, dans un de ces fondachi que j’ai décrits, dépose tout endormi sur la plus haute marche de l’escalier, là où les compagnons de misère pourront l’apercevoir ; le joli conte des deux amis, le Serin et la colombe, et surtout cet admirable petit drame, Senza vederlo, où une veuve, Carmela, va demander au secrétaire de l’albergo dei Poveri la faveur de voir son enfant, et à qui personne ne veut dire qu’il n’est plus, qu’on a oublié… On ne saurait croire toute l’émotion, toute la pitié humaine renfermée par l’auteur dans ces douze pages d’un volume in-12[1]. Verga n’a pas cette concision de haut goût. Il a, en revanche, une couleur sicilienne très marquée, violente parfois. Plusieurs de ses Nouvelles, la première surtout, Nedda, et sa Vita dei Campi sont de belles histoires navrantes de la misère sicilienne.

Et ce qui reste de toutes ces lectures, l’impression qui se dégage de ces livres, c’est que la réputation de folle gaîté de Naples est en partie usurpée, et qu’à la place du gondolier de la légende, ceinturé de bleu et chantant, on trouve un pauvre homme, qui souffre et qui pleure.

Le charme des vers ou de la prose qui racontent la vie populaire leur vient donc d’une pitié très vive au fond et presque toujours voilée dans l’expression, de la faculté très précieuse de penser et de parler populairement. Écoutez ce début d’une poésie récente en dialecte, le Prisonnier, de Ferdinando Russo[2].


C’était une petite serpentine, — avec des yeux comme des olives noires, — rouge de cheveux, d’un rouge ensorcelant, — et elle demeurait au coin de la rue Lancieri.

  1. Parmi les autres œuvres de S. di Giacomo, on peut citer encore Rosa Bellavita et un poème en dialecte ‘O Munastero.
  2. Cette pièce, composée d’une suite de cinq sonnets, a paru dans le grand journal de Naples Il Mattino, où écrit Mme Matilde Serao (n° du 20 novembre 1892).