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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/822

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« Il eut, disait-il, contre le pouvoir issu de 1830, une attitude trop agressive, pour ne pas dire trop violente… Mieux eût valu aussi qu’une parole moins âpre honorât nos plaintes, et que notre style se ressentît plus du christianisme que de la licence des temps. » En effet, malgré ses vivacités et ses injustices du début, Lacordaire ne fit point, à tout prendre, mauvais ménage avec le régime de juillet. Sans doute, lorsqu’il avait entrepris de rétablir en France l’ordre des frères prêcheurs, il s’était heurté à bien de mesquines tracasseries qui étaient dans l’esprit du temps, mais il avait fini par en triompher. Il avait même dîné chez le garde des sceaux en froc de dominicain, et un ancien ministre de Charles X avait pu dire avec vérité que, de son temps, il n’en aurait pas fallu davantage pour amener une interpellation à la chambre.

Tout entier à sa préoccupation dominante, qui était le rétablissement des ordres monastiques en France, il s’était tenu à part des querelles ardentes que la question de la liberté d’enseignement avait soulevées entre les catholiques et le gouvernement de juillet. Il n’avait pas désapprouvé la transaction qui, à la suite de la célèbre campagne entreprise par M. Thiers contre les jésuites, était intervenue entre la cour de Rome et le gouvernement du roi. Les jésuites lui avaient paru un peu compromettans, et le gouvernement assez sage. D’ailleurs, il ne croyait pas qu’un autre régime que la monarchie constitutionnelle fût possible en France. « Je crois, avait-il écrit à Lamennais au moment de leur séparation, que, durant ma vie et même bien au-delà, la République ne pourra s’établir en France, ni dans aucun autre lieu de l’Europe. a Aussi, n’avait-il aucune attache avec le parti républicain, qu’il jugeait même avec une sévérité excessive. « On pourrait dire, avait-il écrit en 1.836, dans sa lettre sur le saint-siège, qu’il n’existe pas en France d’autres partis que le parti de la monarchie régnante et celui de la monarchie prétendante, si l’on ne découvrait, à fond de cale de la société, je ne sais quelle faction qui se croit républicaine, et dont on n’a le courage de dire du mal que parce qu’elle a des chances de vous couper la tête dans l’intervalle de deux monarchies… » Il ajoutait même, après avoir montré que la France devait son unité morale à la monarchie, qu’en politique « la France ne peut être qu’une monarchie ou un chaos, parce qu’il n’existe pas de milieu réel entre la soumission commune à un seul chef et l’indépendance radicale de tous les citoyens. »

Il est donc assez difficile de s’expliquer l’enthousiasme soudain qu’inspirèrent à Lacordaire les événemens de 1848. On a parlé parfois du coup de soleil de juillet. Il semble qu’il ait eu son coup de soleil de février, et cependant c’était un bien pâle soleil. Pour