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fixa au dimanche de la Septuagésime, c’est-à-dire précisément au 27 février. Au jour dit, alors que les barricades dont Paris s’était couvert demeuraient encore debout, Lacordaire monta dans sa chaire. L’affluence était prodigieuse. On pensait bien que quelque allusion aux événemens de la veille s’échapperait de la bouche de l’orateur, aussi l’auditoire était-il attentif et vibrant. L’attente ne fut pas trompée. Il débuta en remerciant l’archevêque (qui était Mgr Affre) de l’exemple qu’il avait donné à tous dans ces jours de grande et mémorable émotion. « Vous nous avez appelés, dit-il, dans cette métropole, le lendemain d’une révolution où tout semblait avoir péri ; nous sommes venus ; nous voici tranquilles sous ces voûtes séculaires ; nous apprendrons d’elles à ne rien craindre pour la religion et pour la France ; toutes les deux poursuivront leur carrière sous la main de Dieu qui les protège ; toutes les deux vous rendent grâces d’avoir cru à leur indissoluble alliance et d’avoir discerné des choses qui passent celles qui demeurent et s’affermissent par la mobilité même des événemens. » Puis il entra dans son sujet, qui était l’existence de Dieu, et après avoir montré l’universalité de la croyance en Dieu, après avoir montré Dieu populaire, il s’écriait : « Grâce à Dieu, nous croyons en Dieu, et si je doutais de votre foi, vous vous lèveriez pour me repousser du milieu de vous ; les portes de cette église métropolitaine s’ouvriraient d’elles-mêmes sur moi ; et le peuple n’aurait besoin que d’un regard pour me confondre, lui qui tout à l’heure, au milieu même de ’l’enivrement de sa force, après avoir renversé plusieurs générations de rois, portait dans ses mains soumises, et comme associée à son triomphe, l’image du Fils de Dieu fait homme. » Ces paroles provoquèrent des applaudissemens que Lacordaire dut même réprimer. Mais elles eurent au dehors un retentissement immense. On y vit une consécration donnée par L’Église à la révolution et, pendant quelque temps, Lacordaire, comme Dieu, fut populaire.

Si, dans l’attitude qu’il avait cru devoir prendre, Lacordaire avait eu besoin d’encouragemens, il les aurait trouvés dans celle des hauts dignitaires de l’Église. Ce n’était pas seulement Mgr Affre qui félicitait le peuple de Paris de la modération qu’il avait montrée dans la victoire ; c’était le nonce qui exprimait au ministre des affaires étrangères la vive et profonde satisfaction que lui inspirait le respect que le peuple de Paris avait témoigné à la religion ; c’était enfin le saint-père lui-même qui se félicitait, dans une lettre adressée à M. de Montalembert, de ce que dans ce grand changement aucune injure n’avait été faite à la religion, ni à ses ministres, et qui se complaisait dans la pensée que cette modération était due en partie à l’éloquence des orateurs