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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/849

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vie à bon marché, facile, simple, familière et gaie. Aujourd’hui encore, et malgré tant de changemens, tel est le caractère qui distingue Florence entre les autres villes italiennes et qu’on y retrouve avec bonheur. Mais il ne fallait lui demander ni des bâtimens appropriés aux exigences de l’administration d’un grand État, ni de larges rues, des boulevards, des jardins publics, des écoles, des hôpitaux, rien en un mot de l’outillage d’une capitale moderne. Il n’y avait même pas de quoi loger immédiatement et sans peine les nouveaux habitans que le transfert de la capitale ne manqua pas d’y attirer. Ces nouveaux-venus traitaient un peu Florence en conquérans qui croient faire trop d’honneur à leur conquête en venant s’y installer ; ils se plaignaient sans mesure et sans tact, mais non tout à fait sans raison.

Tout poussait donc Florence à faire les plus grands efforts pour se transformer : le gouvernement, l’opinion publique, le patriotisme même et la vanité de ses citoyens. Il faut dire, à l’éloge de la municipalité et de ses architectes, qu’ils comprirent les devoirs qui leur incombaient. Ils n’essayèrent pas d’haussmanniser Florence. Il va de soi qu’on respecta les monumens qui en font la gloire. Mais on ne céda pas, et c’était déjà un mérite, à la tentation de les réparer, de les restaurer[1]. On résista, et ici le mérite devient tout à fait rare, à l’envie d’en bâtir d’autres à côté des anciens ; on ne changea rien à la physionomie d’une ville où toutes les pierres ont une histoire et racontent de glorieuses traditions. Les quartiers nouveaux dont la ville s’agrandit, bâtis sans prétention, ne contrastent pas trop avec les vieux quartiers et en paraissent le prolongement naturel et insensible. En errant au pied des monumens de Florence, on peut se croire au moyen âge sans s’y trouver trop dépaysé ; on jouit voluptueusement de son plaisir sans l’acheter par tout ce que la couleur locale et le pittoresque entraînent parfois d’inconvéniens. C’est là peut-être le secret du charme indéfinissable de cette ville unique au monde.

À deux reprises, dans ces dernières années, les Italiens ont dû aborder le difficile problème de rajeunir une ville historique. Il est impossible de le résoudre mieux qu’ils ne l’ont fait à Florence. Que ne peut-on en dire autant de Rome ?

Malheureusement tout cela coûtait fort cher. En 1864, Florence avait 119,000 habitans. On voulut la rendre capable d’en contenir facilement 300,000. Peut-être ne sut-on pas se préserver complètement de cette mégalomanie qui a fait depuis tant de ravages. Il

  1. La seule restauration importante est celle de la façade du dôme ; elle a été parfois critiquée ; j’avoue qu’elle me parait, en somme, assez heureuse.